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08/10/2005

La chair est triste, hélas... : sur Alina Reyes


Je m'accuse, publiquement, d'avoir déshonoré la Zone en acceptant d'y publier, et ce par deux fois, des textes ridicules, ampoulés, mêlant sans force ni talent méditations bibliques loufoques et érotisme ludique, d'Alina Reyes. Car il n'aura fallu qu'une poignée d'échanges directs, violents, sans la moindre concession de ma part à quelque sotte proclamation de bonheur de midinette et de vie d'artiste, pour que se révèle, sous l'apparence douce et timide, le visage véritable de notre romancière polygraphique et, elle n'aime pas le mot qui la cantonne comme une professionnelle de la chair, pornographique. Et dire que, par souvenir lointain de certaine émotion coupable, à la lecture, dès sa parution, du fameux Boucher, j'avais décidé de ne point dire à cette dame charmante ce que je pensais, réellement, de ses petites dégoulinades traduites, se fait-elle une fierté de nous le rappeler, en trente-huit langues dont le moldavo-tchétchène, histoire que les fous de Dieu, combattants d'une juste cause et goûtant tout de même la vie placide du bivouac guerrier, n'ignorent plus rien de la double pénétration, fût-elle repoussée je vous prie, héroïquement, pendant six nuits et en guise de cerise acidulée de la septième et dernière, par quelque bourgeoise parisienne en mal d'aventures, rejouant le drame plat d'une Création sans naissance mais avec éruption de douloureuses hémorroïdes...
Alina, donneuse de leçons (de choses bien sûr) sous vos airs de n'y point toucher, leçons applicables aux autres mais que vous vous gardez bien, n'est-ce pas, d'infuser dans vos propres textes, dès fois que leur bavardage serait, immédiatement, réduit en poussière, voilà bien le masque de cette écrivaine de monomaniaque penchant qui ne parvient pas, nous dit-elle, à faire publier son manuscrit de réflexions personnelles, on se demande bien pourquoi. Peut-être, chère madame, parce que nul tenancier de gargote ne se risquerait à servir une telle soupe où les ingrédients sont jetés, pêle-mêle, par une cuisinière peu regardante. J'ai il y a quelques mois, ici même, servi deux gamelles de semblable potage, depuis vidées dans l'évier (pardonne-moi, LKL, d'avoir ainsi supprimé tes dessins), m'étant avisé, en les goûtant du bout des lèvres, qu'ils étaient, si je renifle leurs grumeaux théologiques, de très peu de farine et, considérant cette fois leur écriture, de bien maigre substance, quelques croûtons à peine, flottant comme des bouchons sur une tambouille saumâtre. Peut-être encore, chère madame, ne parvenez-vous point à faire lever cette pâte parce que vous avez laissé votre petit-œuvre érotique se nicher, comme un ténia foreur, dans les surplis les plus secrets de carnes mille et mille fois retournées sans veiller à donner à cette écriture quelque repos, quelque solidité, quelque densité : un peu d'air, oui, un peu d'air pour le long ver des profondeurs les plus sales de notre pauvre corps.
Artiste (elle me l'a répété suffisamment, la bouche fière : je suis une artiste, et ne manque jamais une seule occasion de le répéter à ses benoîts lecteurs...) ou plutôt artisane, puisque chacun de ses romans, gage de qualité et de sincérité prétendument rustiques, est le fruit d'une parturiente douloureuse, de quelques mauvais livres inoffensifs qui n'auront pas même provoqué, sur l'océan immense qu'est la seule littérature érotique, plus que l'infime frémissement d'une patte d'éphémère, Alina se veut ouverte, béante même mais... Attention cher ami, ne vous méprenez pas, ne vous jetez pas dans cette béance trompeuse, l'ouverture, comme tout ce qui n'existe qu'en simulacre, a un prix, la largesse a tout de même un empan, celui-là même qui vous permet de mesurer votre souveraine tolérance au fait de vivre dans un quartier à la mode qui, probablement, a vue directe, depuis le balcon mais ce n'est déjà pas si mal, sur la misère habituelle, tragiquement habituelle des rues de Paris. Cette misère heureuse du prétendu artiste qui, sans être vécue (car alors, banal tout de même : point d'écriture), vous permet toutefois d'écrire des livres qu'aucun clochard, fût-il ancien lecteur et amateur frustré des enfantillages amoureux, n'aura même l'idée de consulter pour y humer l'air éditorial du temps. Alors, rien de plus me direz-vous que ce boudoir de nonchalance bohème dans lequel l'acéré et pâle Laclos eût tremblé de rage de se laisser emprisonné, rien de plus que cette imposture placide qui aurait provoqué, chez le dangereux spartiate de la luxure qu'était Bataille, une grimace de mépris ? Non, rien de plus mais après tout me dira la belle, qu'importe la taille de la lucarne cerclée d'or consensuel, si l'on peut y contempler, niellée de paillettes, la crasse sereinement mise à distance, l'exacerber même par l'écriture de romans qui jetteront une deuxième fois les pauvres dans la rue et les confineront dans les latrines de leur propre misère sexuelle, comme disent les journalistes ? Vous n'écrivez donc point, Alinartiste, vous répétez la même chansonnette à quatre notes facilement apprise par une petite fille rêveuse et, distraitement, vous promenant dans la rue enjouée (puisque décidément le monde crasseux, sous votre regartiste, semble se parer des ors d'un éternel champ élyséen), sifflez l'air qui ne hantera plus de quelques secondes, je vous l'assure, l'attention labile du plus amène poivrot.
J'appelle cette insouciance une trahison (l'horrible mot doit buter devant vos lèvres délicatement parfumées), j'appelle cette mascarade angotienne trahir les pauvres, et je vous assure que je n'ai point eu le besoin de consulter mon petit Bernanos pour vous l'écrire. Si au moins on devinait, dans vos livres, des gouffres autres que corporels. Non, pas une Mouchette dans vos romans pour se jeter sur quelque amant méprisable, qui lui aura néanmoins appris le goût de cendre de la corruption, rien que d'évasives belles de jour qui se donnent des frissons en croisant le regard niais de Gilles de Rais bourgeois, tranquillement vicelards, lisant Libération à la terrasse du Rostand. Dans vos bluettes, la moindre Laure, sainte de l'abîme, que dis-je, la plus sotte Lolita nourrie de lait aurait rang, dans le pandémonium femelle dont vous êtes le Satan d'opérette, de Lilith carnassière. J'appelle cela, maladie jumelle de la précédente qui tavèle vos pages d'une légère mais persistante pruine rance, de la mauvaise foi, fièvre parisienne bénigne connue de longue date (certains médecins, le thermomètre entre les dents, vont même jusqu'à parler de mal français), typique somme toute, c'est là votre rhume des foins contracté depuis un certain mois de mai éthéré comme du pollen, de la gauchiste rentrée que vous êtes, comme celle consistant à ne pas publier ma dernière réponse à votre odieux, votre stupide texte stambouliote puis, ensuite, sans m'aviser de rien et alors même que nous échangions quelques messages clairs, à écrire, publiquement, que je vous avais insultée. Insultée Alina ? Maintenez-vous, sans rire, que je vous ai insultée ? Je ne vois rien, moi qui suis pourtant expert en recyclage d'ordures, rien que votre fierté d'artiste (décidément, j'aurais préféré plus d'intermittence dans le pauvre spectacle...) blessée et votre inanité intellectuelle, vous-même, encore une fois, me l'écrivez.
Êtes-vous donc assez piètre lectrice pour confondre votre cas avec celui de ces chiennes occidentalisées à outrance, millionnaires salopes que Paris Match, chantant récemment les vertus incomparables d'une adhésion de la Turquie à l'Europe à bout de course, a choisies comme bayadères représentatives d'une société, nous dit-on, laïquement islamiste ou, c'est équivalent, sauvagement modérée ? Est-ce cela ? Voyons, je vous ai tout juste dit ce que je pensais de vos procédés de contournement, d'échappatoires grotesques, de non-réponses méprisantes plus que légères, que vous vous amusiez encore à jouer la chattemite, à votre âge tout de même, bien capable d'exacerber la patience d'un bonze castré. Je vous ai simplement rappelé que votre optimisme béat, votre comique appropriation, à fins exclusives de tolérance et d'ouverture (pigeon à deux têtes plus rare qu'un Phénix que vous êtes, sans doute depuis votre balcon, la seule à avoir pu observer) des vertus d'accueil, l'éternelle rengaine viciée et fausse de la France balayée par tous les vents, seraient aussi, un jour prochain, le couteau qui, manié par la main experte du boucher, se retournerait contre votre jolie petite gorge rose.
Voilà ce que vous ne pouvez entendre, chère Alina, voilà ce que l'onctueuse vertu de tolérance que vous pommadez, d'une main légère, sur le dos de vos amis journalistes et de vos nombreux et délicats lecteurs, voilà ce que votre artistique irresponsabilité ne peut supporter plus de quelques secondes, et encore, vous fermez les yeux, vous êtes bien incapable de fixer l'insoutenable éclat d'une indigence, d'une inconsistance dont vous refusez de considérer qu'elles sont, tout simplement, vos propres rejetons, petits monstres ricanants et nains difformes enfantés par une écriture plus fade que blanche, vidée, avilie d'avoir été contrainte de tant se prostituer pour, finalement, répéter cette pauvre vérité, que tous les clichés du monde ne parviendront pas à voiler : la chair, y compris celle, boucanée à outrance et qui se complaît sur l'étal de vos petites histoires saucissonnables à volonté, est affreusement triste que l'esprit ne nourrit point.

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05/10/2005

Toile infra-verbale

Crédits photographiques : Miguel Villagran (Getty Images).

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02/10/2005

Arménie, 1915 ou le premier génocide du XXe siècle

Le génocide des Arméniens, photographie datant de 1916
«La Turquie a toujours représenté un autre continent au cours de l'Histoire, en contraste permanent avec l'Europe. Il y a eu les guerres avec l'empire byzantin, pensez aussi à la chute de Constantinople, aux guerres balkaniques [...]. Je pense donc ceci : identifier les deux continents serait une erreur. Il s'agirait d'une perte de richesse, de la disparition du culturel au profit de l'économie.»
Joseph Ratzinger, depuis quelques semaines Benoît XVI.


La question turque étant, de nouveau et pour quelques années encore, brûlante, je me permets de publier de nouveau, légèrement modifiée, une note datant du mois d'avril.

Annick Asso, Le cantique des larmesLu, avec effroi, dégoût et colère, les pages consignant la lente éploration de l'horreur, la banalité du Mal, dans la bouche d'anonymes oubliés de tous, horreur et banalité pourtant recueillies (selon l'étrange et lui aussi banal miracle affirmant qu'aucune lâcheté, qu'aucune ignominie ne sauraient rester totalement inconnues des hommes si elles ont été une fois notées et consignées) dans un ouvrage que toute personne bizarrement turcophile, et d'abord Jacques Chirac, ferait bien de lire, et plutôt deux fois qu'une : Le cantique des larmes (La Table ronde) consacré au génocide arménien. Ainsi, ce témoignage, parmi des centaines d'autres du même acabit, extrait de la déposition de madame Terzibachian d'Erzeroum lors du procès Tehlirian : «Avec ce que nous pouvions porter sur le dos, nous avons atteint Malatia. Là, on nous mena dans la montagne et on sépara les hommes des femmes. Les femmes étaient à environ dix mètres des hommes et purent voir de leurs propres yeux ce qui leur arrivait. On les a tués à coups de hache et on les a poussés dans l'eau.
Seuls les hommes ont péri de cette manière. Lorsqu'il commença à faire un peu sombre, les gendarmes vinrent choisir et prendre les plus belles femmes et jeunes filles pour en faire leur femme. [...] Celles qui ne cédaient pas furent transpercées à coups de baïonnette et eurent le corps déchiré par traction sur les jambes. Même des femmes enceintes eurent les côtes tranchées, les enfants arrachés du ventre et jetés. (Le témoin lève la main.) Je le jure.
Mon frère aussi eut la tête tranchée. Lorsque ma mère vit cela, elle s'écroula et mourut sur le coup. Alors un Turc s'approcha de moi pour faire de moi sa femme, mais comme je ne consentis pas, il prit mon enfant et le jeta.»

Photographie de l'auteur

Le lecteur mettra en rapport ces pages déchirantes et le dossier, d'une rare indigence intellectuelle et d'une plus immonde complaisance encore vis-à-vis de la chienlit huppée stambouliote et de tous les clichés progressistes, publié par Paris Match (dans son numéro du 29 septembre au 5 octobre). Sous la plume de Gilles Martin-Chauffier par exemple, cette perle que l'on dirait secrétée par une limace se nourrissant d'une petite crotte delanoenne : Istanbul n'est pas une mosquée, c'est une fête. Cette autre, qu'un Bloy et un Ellul auraient enchâssée dans un écrin d'exégèses assassines : Les Turcs sont des Européens musulmans.

Parfait allais-je répondre à l'imbécile, nous voici donc bien informés du danger, d'ailleurs maintes fois annoncé, nos ignorants ne savent point cela bien sûr, par ces moines et visionnaires grecs qui furent les plus intimes ennemis des Turcs, comme je le lisai récemment dans une étude savante d'un certain Astérios Argyriou, intitulée Les Exégèses grecques de l'Apocalypse à l'époque turque (1453-1821) (Thessalonique, 1983). Il est d'ailleurs fort à craindre que la littérature apocalyptique, surgissant, c'est là une constante historique, en temps de crises, ne devienne, d'ici quelques années, un genre de nouveau prisé par les derniers survivants des catacombes.

Photographie de l'auteur

Mais j'y songe, n'avais-je pas jugé, de visu, en 1992, des splendeurs tant vantées par nos petits journalistes parisiens de la Sublime Porte, traversant d'Ouest en Est, durant deux semaines, l'immense pays dans un véhicule de fortune ? Il est vrai que ne m'intéressaient alors que les villes, ou plutôt les ruines de ces villes, devenues par la suite ottomanes puis turques, auxquelles Jean adressa sept lettres dans son Apocalypse : Éphèse, Smyrne, Pergame, etc.

Certes, il est vrai encore, à la décharge de nos européens stambouliotes, que j'eus la malchance de parcourir les rues de l'immense Byzance festive durant une grève de ses éboueurs...
Photographie de l'auteur

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29/09/2005

Les Émigrants de W. G. Sebald

Crédits photographiques : Finbarr O'Reilly (Reuters).

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23/09/2005

Le passé de notre avenir : à propos de L'Avenir de nos origines de Carlo Ossola

Crédits photographiques : Joe Klamar (AFP/Getty Images).

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21/09/2005

Bernanos, la guerre, Satan, la critique

Crédits photographiques : Ivan Alvarado (Reuters).

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14/09/2005

Robinson ou les limbes de la littérature

Crédits photographiques : Vanderlei Almeida (AFP/Getty Images).

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13/09/2005

Technikart, la bouche pleine de détritus

Photographie (détail) de Juan Asensio.

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07/09/2005

La ruine de Kasch de Roberto Calasso

Crédits photographiques : Esteban Felix (AP Photo).

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02/09/2005

Katrina pour tout le monde

Crédits photographiques : Charlie Riedel (Associated Press).

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23/08/2005

Préfiguration de la Shoah : Justice sanglante (The Avenger) de Thomas De Quincey

Crédits photographiques : Hatem Omar (AP Photo).

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27/07/2005

De la pâte des rêves et du cinéma de la cruauté, par Thorsten Botz-Bornstein

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25/07/2005

Stalker de Tarkovski, par Francis Moury

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20/07/2005

La Nouvelle Guerre de Troie a déjà eu lieu, par Cyril Pahlavi

Peinture du 16e siècle

«Or, chaque fois que les choses sont telles qu’un tas de gens éprouvent le besoin de s’en mêler, les faibles, et ceux qui le deviennent à force de trop réfléchir, aboutissent toujours à une religion du Rien-Faire, très pieuse et très élevée, et finissent par se soumettre à la persécution et à la volonté du Seigneur. Vous avez déjà dû remarquer cela aussi. C’est de l’énergie à l’envers dans une rafale de terreur. Les cages de ceux-là seront pleines de psaumes, de cantiques et de piété, et ceux qui sont d’une espèce moins simple se tourneront sans doute vers – comment appelez-vous cela ? – l’érotisme.»
H. G. Wells, La guerre des mondes, discours de l'homme de Putney Hill.


L’argument, assez convainquant et quasi juste, défendu par plusieurs intellectuels amblyopes quant à la marche de l'histoire consiste à affirmer hâtivement qu’il n’y aura pas de Guerre des Mondes (ou de Choc des Civilisations) tout simplement parce qu'il n’y aura pas (ou ne peut y avoir) de résistance réelle de la part de l’Occident, un Occident déjà conquis par un ennemi endogène agissant comme une cinquième colonne – un peu comme le fameux «Trojan Horse» a permis à la mythique Guerre de Troie de n’avoir pas eu lieu, ou du moins de n’avoir pas été combattue sur un champ de bataille selon les prétendues règles de l'art (voir notamment l'excellent article de Juan Asensio, La guerre des mondes n'aura pas lieu).
L’analyse est très pertinente (et je la partage largement) mais elle repose néanmoins sur une conception restrictive et obsolète de la Guerre. Il convient en effet de s’entendre sur la signification que l’on donne à l’idée de Guerre avant d’affirmer qu’elle n’aura pas lieu. La guerre présuppose au minimum un conflit. Mais qu’est-ce qu’un conflit ? Implique-t-il nécessairement la brutalité d’une confrontation physique, des «casualties» et du sang ? A l’âge de l’inforoute globale et des mass medias, ne peut-il pas aussi prendre la forme plus subtile d’une lutte des idées, des valeurs, des esprits et des cœurs ?
C’est en tout cas ce que de plus en plus de géopoliticiens actuels, comme Joseph Nye, K.J. Holsti ou Barry Buzan, s’accordent à penser en redéfinissant (au moins partiellement) la guerre moderne, celle du vingt-et-unième siècle, comme une sorte de «soft war» ou de jeu d’échecs psychologique mené par satellites et opinions publiques interposés. Cette hypothèse reste à valider mais il faut d'ores et déjà reconnaître que ce nous vivons depuis quatre ans la vérifie singulièrement : à l’action psychologique des uns (dont le terrorisme primitif est l'une des expressions) répond celle des autres (via des stratégies sophistiquées comme la mass diplomacy, le PR warfare ou le libre-échange culturel), les uns et les autres cherchant à convaincre autant qu’à vaincre à l’aide des Armes de Persuasion Massive bien plus souvent qu’à l’aide des fameuses ADM (qui, soit dit en passant, ont servi davantage comme arguments que comme outils stratégiques).
Si on limite son analyse à la définition classique – comprendre commune – de la guerre (encore que celle-ci ait depuis longtemps été étendue à la dimension psychologique par des penseurs comme Sun Tzu, Machiavel ou Clausewitz), il est compréhensible qu’on ait encore du mal à interpréter les événements actuels comme des signes probants d’une Guerre des Mondes. Mais il suffit, pour se convaincre de la désuétude de cette conception, de l'actualiser pour voir, au-delà du cliché d’un affrontement armé entre l’Orient et l’Occident, la possibilité d’une nouvelle forme de lutte, une lutte quadridimensionnelle (air, mer, terre et ondes), une guerre d'usure psychologique, une guerre sans front véritable, une guerre située sur le plan des idées, dont le champ de bataille est celui des écrans et dont l'enjeu n’est plus seulement le gain de territoires physiques mais aussi la conquête du sixième continent, celui formé par les quelques centimètres cubes de notre cerveau souvent docile et toujours versatile.
Les dirigeants occidentaux eux-mêmes commencent à s’ouvrir à cette nouvelle réalité et à tenir compte de la nouvelle nature de la Guerre Mondiale. Les démocrates de toutes opinions et croyances, soulignait récemment le Premier ministre britannique, doivent mener «la bataille des idées, des coeurs et des esprits» contre les islamistes, «pas seulement contre ce qu'ils font, mais aussi contre ce qu'ils pensent». Meilleurs communicateurs que stratèges militaires, les Djihadistes, eux, ont compris depuis longtemps la dimension psychologique de la lutte contre l’Occident en mettant en œuvre une propagande extrémiste terriblement habile exploitant «la tendance au sentiment de culpabilité du monde développé» (Tony Blair). Ce qui ne fait plus de doute, c’est qu’une Guerre des Mondes fait rage qui, pour n'être pas un choc de civilisations tel que l’avait défini Samuel Huntington, n'en est pas moins une Guerre, une Guerre des Idéologies qui ne risque pas d’être gagnée si elle continue d’être élégamment snobée par les intellectuels parisiens. C’est une Guerre des Mondes, «une lutte mondiale» contre «l'idéologie du mal» d'Al-Qaida. Attention ! Il ne s’agit pas de prétendre que la puissance de feu classique dont disposent les belligérants est aujourd’hui caduque (la force reste et restera un paramètre incontournable dans l'arène internationale) ; mais «au bout du compte, ce sera aussi par la puissance des arguments, du débat, de la véritable foi religieuse et de la politique véritablement légitime que sera défait» (Tony Blair dénonce l'idéologie du mal d'Al-Qaida, Le Monde, 18 Juillet 2005) l'islamisme radical.
La Troisième Guerre Mondiale prend donc le visage d'une Seconde Guerre Froide, une Guerre Froide qui a commencé à la fin de la précédente avec la Révolution islamique de 1979. Cet épisode historique dont j'ai été le témoin direct a marqué le début d'une ère nouvelle dans laquelle la culture, la religion et l'information sont désormais instrumentalisées pour galvaniser les foules et générer de considérables changements géopolitiques. Comme la Première Guerre Froide opposant l'Est socialiste à l'Ouest capitaliste (1947-1991), le clash doctrinal auquel nous assistons aujourd'hui entre l'Occident et l'Orient se traduit essentiellement par une lutte idéologique entrecoupée de manière ponctuelle par des confrontations directes en divers points du globe (Corée et Vietnam pour la première contre Afghanistan ou Irak pour la seconde). Contrairement à l'idée huntingtonienne de «Clash des Civilisations», cette nouvelle guerre des idées (entre le camp de «la Nouvelle Croisade» et les forces de «la Guerre Sainte») ne semble pas devoir s'acheminer vers une «Guerre Chaude planétaire» – faute de moyens logistiques pour les uns et faute de volonté de sacrifice (willingness to suffer) pour les autres.
Mais que l'on ne s'y trompe pas, cela ne signifie en rien qu'elle n'aura pas lieu, d'autres possibilités s'offrent désormais pour mener la lutte et l'emporter. On s'aperçoit de part et d'autre que l'usage de la force brute devient de plus en plus aléatoire (coûteux, risqué et contreproductif) et que l'enjeu est avant tout d'isoler l'ennemi, de le discréditer en gagnant les masses, en agissant sur leur perception et leurs préférences. Ce qui se profile à l'horizon, et dont nous avons juste un avant-goût, est donc une guerre profondément différente de celles du passé, «une guerre du troisième type», sans front et sans conquêtes dont le théâtre des opérations (débordant sans cesse davantage sur la vie quotidienne) devient la société globale de l'information, une guerre dont les combattants enrôlés malgré eux sont chacun de ses habitants lobotomisés. L'issue dépendra de la conviction des masses et de la foi qu'elles épouseront ou n'épouseront pas.
Citoyens de l'âge industriel, de nombreux penseurs omettent de considérer l'hypothèse, impensable il y a encore peu et encore sous-estimée aujourd'hui, que l'information et l'art de la guerre pouvaient se pervertir l'un l'autre pour donner lieu à une nouvelle forme, bien plus subtile et bien plus dévastatrice, de conquête et d'anéantissement, non plus seulement du corps (comme périphérie matérielle de l'être) mais aussi de l'esprit humain (comme l'essence immanente de l'être).

La Nouvelle Guerre de Troie, la Troisième Guerre Mondiale, celle du Troisième Millénaire a déjà lieu – elle est douce, furtive, presque pacifique et portant, il n'y a aucune raison de s'en réjouir.

Cyril Pahlavi.
L'auteur, petit-fils adoptif d'Ali Reza Pahlavi – frère du dernier Shah d'Iran, membre oublié de la famille impériale, est issu d'une longue lignée de diplomates et de voyageurs. Ses origines iraniennes, tchèques, allemandes et françaises, ont fait de lui un catholique d'Orient, un immigré d'Europe, un francophone d'Amérique, un citoyen du monde et un sismographe du choc des cultures. Frappé par la révolution islamique alors qu'il n'avait que 7 ans, exilé d'Iran, il a fui vers la France puis a refait sa vie au Canada où il vit depuis une quinzaine d'années. Poursuivant une carrière académique (chercheur et auteur d'ouvrages traitant des relations internationales et de géopolitique), il est également proche des milieux littéraires français de Montréal et notamment l'un des intervenants du futur site officiel de Maurice G. Dantec.

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19/07/2005

Le Miroir de Tarkovski, par Francis Moury

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18/07/2005

Primo Levi et Imre Kertész ou le drame de la formulation

Crédits photographiques : NASA/GSFC/Arizona State University.

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15/07/2005

La guerre des mondes n'aura pas lieu

Illustration de Tom Kidd pour La guerre des mondes

«Pourquoi attaqueraient-ils un tigre quand il y a autant de moutons partout autour d'eux ?»
Un expert britannique du terrorisme, cité par Valeurs actuelles, n° du 15 au 21 juillet 2005.


La guerre des mondes, comme celle de Troie, n'aura pas lieu parce que notre ennemi ne trouvera aucun résistant dressé sur sa route, parce que, comme l'explique l'un des personnages du roman de H. G. Wells (sa toute récente adaptation cinématographique réalisée par Spielberg, truffée d'incohérences, ne vaut que par certaines de ses scènes de destruction les plus spectaculaires) au narrateur, les Martiens, pour les moutons que nous sommes devenus par évolution génétique de notre espèce, seront (ou sont) une bénédiction : «de jolies cages spacieuses, de la nourriture à discrétion ; un élevage soigné et pas de soucis» (Gallimard, coll. Folio, 2005, p. 270). Nous retrouvons ainsi la prédiction du Grand Inquisiteur de Dostoïevski parlant au Christ : l'homme vit heureux à condition que sa destinée soit prise en charge par plus puissant que lui, plus clairvoyant, en bref par un maître qui, nous dit le romancier russe, est dans une certaine mesure capable de se sacrifier pour garantir le bonheur de ses ouailles. Ce même personnage imaginé par Wells, qui prudemment, pour atténuer son discours radical, le fait déclarer quelque peu fou par le narrateur, va jusqu'à penser qu'une partie de ces hommes capturés par les Martiens deviendront, pour leurs semblables réduits à se cacher dans les souterrains, de redoutables chasseurs chargés d'étancher la soif de sang humain de leurs maîtres. On connaît la fin du roman d'anticipation, élément d'ailleurs fidèlement retranscrit par Spielberg : les Martiens invulnérables sont anéantis par les microbes terriens, contre lesquels ils ne peuvent rien, comme si la puissance la plus formidable était strictement démunie face aux décrets de l'Invisible.
Eh bien, la puissance occidentale, elle aussi, semble ne rien pouvoir faire contre l'ennemi invisible (n'en déplaise au Transhumain qui a défendu ses vues somme toute humanistes dans un très bel article), contre l'ennemi plus invisible qu'une cinquième colonne, qui est déterminé, c'est le moins que l'on puisse dire, à la faire trembler et vaciller sur ses pieds d'argile, à sectionner, qu'importe le nombre de prétendus martyrs qu'il devra employer pour parvenir à ses fins apocalyptiques, ses trois longues pattes que sont l'Argent, l'Orgueil et le Plaisir. On connaît le mot du général Franco, rapporté par Alexandre Koyré (La cinquième colonne [1945], Allia, 1997), p. 8) : «Les quatre colonnes qui s’approchent de Madrid seront aidées par une cinquième qui s’y trouve déjà». J'invite aussi les sceptiques et les prudents élémentistes qui tentent de promouvoir une sotériologique et brumeuse voie de conciliation que l'on nous promet triomphante dès que le nouvel homme naîtra, à bien méditer la phrase qui suit, signée de Koyré : «L’existence de «l’ennemi intérieur» implique et indique la présence au sein de la Cité de groupes non-intégrés, non embrassés par le lien social ; de groupes qui se refusent à s’identifier avec le Tout de la Cité, ainsi que de se solidariser – dans ce Tout – avec les autres groupes qui le composent et le constituent ; de groupes qui s’isolent – ou qui se trouvent isolés – dans ce Tout ; qui s’opposent à ce Tout ; qui, l’opposition s’intensifiant et s’exaspérant, passent de l’opposition à l’hostilité, de l’hostilité à la haine ; le cas échéant la lutte sourde se transformera en lutte ouverte : la sédition fera son entrée dans l’État».

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12/07/2005

Un brelan d'antimodernes : sur le dernier essai d'Antoine Compagnon

compagnon.jpg

Photographie (détail) de Juan Asensio.

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09/07/2005

Mon refus jamais tempéré de jouir : lettre de Sarah Vajda à l'auteur

Photographie (détail) de Juan Asensio.

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08/07/2005

London bombing

Crédits photographiques : Xinhua, Sun Can (AP Photo)

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07/07/2005

Andreï Roublev de Tarkovski, par Francis Moury

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30/06/2005

Les années anglaises d'Elias Canetti

Crédits photographiques : Jason Hawkes.

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26/06/2005

La République bananière de Pierre Assouline

Crédits photographiques : Daneil Munoz (Reuters).

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24/06/2005

Coucher de soleil sur la littérature française

Sol 489 (19 mai), coucher de soleil sur Mars, cratère Gusev, photographie prise par le robot Spirit
Je suis tombé sur ces lignes signées par Dan Simmons et rapportant tel propos acerbe de Tom Wolfe sans vraiment parvenir à croire ce que je lisais. Enfin ! Et quel dommage tout de même que l'on ne lise pas plus souvent pareilles charges, concises mais implacables (bref : américaines jusque dans leur absolu pragmatisme) sous la plume d'intellectuels français qui pourtant, je le sais bien, en assez grand nombre ne peuvent souffrir la pensée et l'écriture de Jacques Derrida. Reste qu'il ne faut tout de même pas exagérer et donner quitus à Simmons quant à cette ineptie concernant l'absence de grands écrivains français au XXe siècle. Et encore, bah, pourquoi pas ? Pourquoi ne pas accepter la déclaration de Simmons pour ce qu'elle est : une évidence, à savoir l'invisibilité, à quelques exceptions près, de presque tous nos écrivains hors de la sphère de diffusion de la langue française ? En effet, qui pouvons-nous opposer (j'entends déjà : Proust ? Céline ?... Le seul peut-être, oui, Céline...) et pour nous en tenir aux seuls auteurs anglo-saxons, à Conrad, à Faulkner, à Joyce, à T. S. Eliot et combien d'autres encore ? Il est vrai, aussi, que certaines sirènes laidement publicitaires nous annoncent pour la prochaine rentrée un lever (voire un double lever) de soleil fameux sur le paysage littéraire français, plus désolé que le désert martien. Nous verrons bien mais je ne ferais sans doute que me répéter en affirmant ceci : l'écrivain véritable, si tant est qu'il doive venir de notre vieux pays aphasique (mais pas moins verbeux), se passera à mon sens de toute béquille publicitaire.

«Alors que j’écris ces lignes, en ces premiers mois, ces premières heures du XXIe siècle, la vaste et rancunière machine de la critique universitaire est pilotée par les mains mortes de quelques nabots français tels que Michel Foucault et Jacques Derrida. La France, une nation qui, selon toute probabilité, n’a produit ni grand écrivain ni grande littérature durant la totalité du XXe siècle contrôle néanmoins la totalité du discours sur la littérature du XXIe siècle, et ce grâce au sophisme tout simple qui consiste à nier le caractère central de l’auteur, la réalité des personnages et la puissance transcendante du langage et de la littérature elle-même. Comme l’écrit Tom Wolfe dans un récent essai : «Ils (Foucault, Derrida et leur légion lycanthropique de suiveurs) ont commencé par gonfler hors de toute proportion une déclaration de Nietzsche selon laquelle il n’est pas de vérité absolue, mais seulement plusieurs «vérités», qui sont autant d’outils de divers groupes, classes ou forces. À partir de là, les déconstructionnistes ont abouti à la doctrine selon laquelle le langage est le plus insidieux des outils. Le devoir du philosophe est de déconstruire le langage, d'exposer ses arrière-pensées et de contribuer à sauver les victimes de l’«establishment» américain : les femmes, les pauvres, les non-Blancs, les homosexuels et les arbres.»
Dan Simmons, Worlds Enough & Time (Subterranean Press, 2002).

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23/06/2005

L'Enfance d'Ivan de Tarkovski, par Francis Moury

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19/06/2005

Signes et insignes de la catastrophe de Jean-Luc Evard

Crédits photographiques : Marcio Jose Sanchez (Associated Press).

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17/06/2005

Sainte Florence Aubenas, (excellente) comédienne et martyre

Florence Aubenas, bientôt sainte, Reuters

Aujourd'hui, mes lecteurs, vous n'aurez droit qu'au minimum rédactionnel, puisque le stalker, qui a voté récemment non comme le bon peuple de France, jouissant, tout comme ce dernier, d'une douce RTT, se contente de vous livrer cette épigramme, anaximandrakienne quoique compréhensible : dans la Zone, il ne sera plus jamais parlé, hormis ces quelques lignes, de la canonisation de la joviale Florence Aubenas, toute nouvelle patronne de la France dont la charogne pestilentielle (celle de notre pays bien sûr, car pour l'autre, paraît-il, elle ne se décomposera point, à l'heure de son rappel, et embaumera son futur mausolée d'une fragrance d'encens et de myrrhe...), dont la charogne attend, pour être jetée dans la poubelle de l'Histoire, que Serge V (succédant logiquement à Serge IV, 1009-1012) prononce quelques mots inspirés de messe dont voici la lettre à défaut de l'esprit : qu'on en finisse, de grâce, et vite...

Portrait de Serge V au doigt levé, Sipa

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16/06/2005

La littérature à contre-vent, par Olivier Noël

Photographie (détail) de Juan Asensio.

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15/06/2005

La pensée congelée de Perry Anderson

Monts de Verkhoiansk, Yakoutie, Sibérie orientale - © Marc Garanger

«[…] le désenchantement du monde a progressé rapidement, et les anciennes valeurs éthiques qui ont partout fait l’objet d’abus et d’exploitations misérables sont sur le point de se dissiper comme de la fumée. […] Nous sommes sur le point de demander au soldat de mourir sans proposer un quelconque équivalent émotionnel réconciliateur en échange de cette vie perdue. Si la mort du soldat au combat – pour ne pas mentionner celle du civil dans les villes bombardées – est dépouillée de toute idée embrassant l’humanitas, fût-elle Dieu, roi ou patria, elle sera aussi dépourvue de toute idée anoblissante du sacrifice de soi. Elle devient un meurtre de sang-froid, ou, ce qui est pire, prend la valeur et la signification d’un accident de circulation politique un jour de fête légale.»
Ernst H. Kantorowicz, Mourir pour la patrie et autres textes (Fayard, coll. Les quarante piliers, 2004).


Perry Anderson, La pensée tièdeQuel dommage finalement, que cette charge contre la décrépitude de la France intellectuelle provienne d'une plume pour le moins suspecte. Perry Anderson, vieille baderne rouge dont le regard angélique semble ne s'être jamais penché sur certains gouffres et crimes du XXe siècle perpétrés par son camp (communiste, je le précise à tout hasard), affirme dans La pensée tiède (Seuil, 2005 ; les deux textes d'Anderson ont d'abord été publiés en septembre 2004 dans la London Review of Books), entre autres reproches ma foi assez justifiés, que la critique littéraire française, si on avait le culot de la mettre en regard de celle qui s'exerce courageusement dans les pays anglo-saxons, serait réduite en bouillie (cf. p. 28). Il a raison. Et l'auteur de continuer en écrivant que la «disparition de tout ce que la France a représenté culturellement et politiquement, dans son éblouissante différence, serait une perte dont l'ampleur est encore difficile à estimer» (p. 96). Sur ce point, je suis avec quelque réticence notre optimiste essayiste britannique, même s'il parle d'une France passée, l'état clinique de la France présente pouvant à mes yeux être assimilée à celle de mort clinique, voire cérébrale, à moins que nous osions évoquer, avant sa complète évaporation, les derniers soubresauts ectoplasmiques d'un spectre.
Que répond, dès lors, Pierre Nora (directement mis en cause par Anderson qui lui prête un rôle certain dans la léthargie intellectuelle ayant gagné la France depuis quelques années) à son contradicteur, dans un court essai intitulé La pensée réchauffée publié dans le même volume que le précédent texte ? Mais voyons, qu'il a bien moins de pouvoir qu'Anderson ne le prétend, même s'il est le patron, il ne peut tout de même pas le nier, du Débat, revue accusée par Anderson de s'être ralliée à l'ordre établi, disons frileux, conservateur, bien éloigné en tous les cas de l'audace révolutionnaire jadis (voire naguère avec Mai 68) illustrée par le génie français. Et Pierre Nora, chargeant sur l'adversaire en montant un curieux destrier bicéphale (puisque sont mêlés les noms de Joseph de Maistre et de Robespierre), de répondre à Anderson qu'il «se refuse obstinément à voir que le révolutionnarisme français, tel qu'il se maintient aujourd'hui, est l'expression d'un fondamental et tragique conservatisme français» (p. 137). Faut-il donc rappeler à Nora, généralement peu enclin aux approximations, que la contre-révolution chère à Joseph de Maistre était, justement, tout le contraire de la Révolution, aujourd'hui parodiée, d'ailleurs, par quelques imbéciles faussement extrémistes et en vérité profondément petits bourgeois qui, tout comme leurs ennemis irréductibles de gauche et de droite, n'en sont pas moins contaminés par les idées de cette tyrannie molle et invisible selon Renaud Camus ?

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13/06/2005

Hermann Broch, debout sur un monde en ruine

Crédits photographiques : Andrew Cowie (AFP/Getty Images).

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