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04/04/2006

Rien n'est réglé, par Georges Sebbag

Affiche Mao placardée sur les abribus de l'Essonne en 2003. Cette illustration a également fait la 4ème de couverture du Journal de l'Essonne n° 40, février 2003.


Quelques mots sur cette illustration (cf. infra texte de Georges Sebbag) : cette affiche de type Mao a été vue sur les abribus de l'Essonne, en 2003. Elle fut aussi placardée dans les journaux, spécialement dans le Journal du Conseil général distribué gratuitement ou plutôt fourré dans des centaines de milliers de boîtes à lettres. Cette illustration a également décoré la quatrième de couverture du Journal de l'Essonne n° 40 du mois de février 2003.

De Georges Sebbag, que je remercie vivement de m'avoir autorisé à reproduire son texte, voici ce que nous pouvons savoir : né à Marrakech en 1942, l'auteur a enseigné la philosophie (en lycée) de 1967 à 2002 et a publié notamment Le Masochisme quotidien, La Morsure du présent, Le Gâtisme volontaire et Le Génie du troupeau (notre extrait est en fait le sixième et dernier chapitre de cet ouvrage paru en 2003 chez Sens & Tonka), ainsi que plusieurs ouvrages concernant le surréalisme, comme L’Imprononçable jour de sa mort ou André Breton, l’amour-folie.
Ses sujets d’étude ou de réflexion, tels qu'il me les a précisés, sont :
1. Non pas le Pouvoir, mais la soumission : masochisme quotidien, gâtisme volontaire.
2. La démographie gouverne la démocratie.
3. Le temps sans fil et les microdurées artificielles.


Georges Sebbag, Le Génie du troupeau, édité par Sens & Tonka en 2003Rien n'est réglé
Samedi 4 janvier 2003 : il neige sur la région parisienne, environ 5 centimètres. Midi : nous empruntons, Monique et moi, l'autoroute A 10 au péage de St Arnoult-en-Yvelines pour nous rendre à Paris. 16 heures 30 : la neige a cessé, la température avoisine le zéro degré, nous prenons le chemin du retour. 17 heures : à la hauteur de Palaiseau, nous hésitons entre la bretelle d'accès à la A 10 qui est encombrée et celle qui conduit à la nationale 20 qui paraît dégagée. Nous choisissons l'autoroute estimant qu'elle est plus sûre. 18 heures : c'est l'embouteillage, nous avons mis une heure pour parcourir cinq kilomètres, la chaussée devient glissante, nous sommes angoissés; soit nous sortons immédiatement direction Orsay pour reprendre la A 10 un peu plus loin, soit nous courons le risque d'être bloqués sur l'autoroute dans des conditions déplorables. Nous décidons de sortir. Peu d'automobilistes font de même. Arrivés à Orsay, nous rejoignons la nationale 118 qui conduit à la A 10 et à la A 6. Il est 19 heures. Là, spectacle ahurissant de centaines de voitures et de camions agglutinés. L'embouteillage de tout à l'heure ne s'est pas dissipé. Cette fois-ci, soit nous nous insérons dans les quatre files saturées de la A 10, soit nous tentons notre chance en direction de la A 6, sachant que la première sortie, 10 kilomètres plus loin, rejoint la N 20. Nous nous décidons à rejoindre la N 20. Puis nous roulons jusqu'à Étampes. Il ne nous reste plus que 15 kilomètres. Nous arrivons à notre domicile, à Authon la Plaine, vers 20 heures 30. Bilan : quatre heures de route éprouvantes pour un trajet habituel d'une heure.

Retour sur l'autoroute A 10
Dimanche 5 janvier 2003, les médias diffusent l'information : 15 000 véhicules sont restés bloqués sur un tronçon de la A 10, dans les deux sens de l'autoroute. Près de 30 000 personnes ont été immobilisées dans le froid durant la nuit de samedi à dimanche. Elles ont été piégées quinze heures, vingt heures ou plus, et laissées à l'abandon. )L'événement prend sa source dans une croyance : l'autoroute serait par nature plus sûre que le reste du réseau routier. Les autorités se sont accrochées à ce principe, alors que les faits, heure après heure, en démontraient l'inanité. La société Cofiroute et la préfecture ont décidé de régler les problèmes d'entravement ou de verglas sans faire évacuer l'autoroute. Et elles ont piteusement échoué. Elles n'ont pas voulu admettre que le réseau routier environnant était plus fiable que le tronçon fatal de la A 10. Prenez une carte. Les automobilistes bloqués depuis les péages d'Allainville et de St Arnoult jusqu'aux sorties Les Ulis ou Palaiseau, auraient pu être dégagés, entre autres, par les nationales 191, 104 et 118. Bref, l'autoroute impraticable à quatre voies n'a pas dénié faire appel à des nationales ou des départementales, certes praticables, mais considérées au premier chef comme de sinistres voies de perdition. Confirmation de cette explication : d'une part, la radio Autoroute FM s'est abstenue de faire état de la pagaille sur la A 10 afin que les automobilistes ne quittent pas l'autoroute, d'autre part, selon Le Figaro du mardi 7 janvier 2003, «un expert de la Direction des routes souligne qu'il a peut-être été “préférable” de laisser les automobilistes se regrouper sur les autoroutes que de les envoyer sur un réseau secondaire où ils auraient risqué l'accident.» Ainsi va le cynique principe de précaution décrétant que 30 000 personnes immobilisées en rase campagne par - 5 degrés et passant une nuit blanche dans leur véhicule sont plus à l'abri et plus chanceuses que celles qui ont emprunté les routes dites secondaires pour arriver à destination.

Comment rentrer dans le rang
Avec l'argent, nous avons appris à compter. Mais nous sommes curieusement embarrassés dès qu'il s'agit d'évaluer la quantité humaine. Combien y a-t-il de voyageurs dans un car, un wagon, un train, sur un quai, dans une gare ? Combien de clients se pressent dans une boutique ou dans une grande surface ? Combien de spectateurs dans une salle de théâtre ou de cinéma ? Combien de visiteurs font la queue au Louvre ? Quels que soient les chiffres avancés, il reste que les corps humains comme le milieu spatial sont incompressibles. En réalité, que nous le voulions ou non, nous avons une expérience concrète du grand nombre. Soit comme touristes ou estivants, quand nous partageons un coin de trottoir ou de plage. Soit en tant qu'automobilistes, quand nous circulons et que nous escomptons un trafic fluide. Les occasions ne manquent pas de rencontrer le grand nombre en chair et en os. Et pourtant nous hésitons à le nommer et à plus forte raison à le nombrer. Pourquoi ? Parce que notre expérience du grand nombre est plus décevante qu'enthousiasmante. S'il y a des défilés festifs, des supporters allumés ou des foules en liesse, il y a aussi des rassemblements mornes. Mais surtout nous passons le plus clair de notre temps à nous inclure dans le grand nombre. Ou bien nous nous plongeons dans les médias et nous rallions le public universel, ou bien nous prenons notre tour, nous faisons la queue, et nous venons grossir une quantité humaine.

La loterie démocratique
La démocratie se fie au hasard pour contercarrer le destin. Ainsi les membres d'un jury siégeant dans un tribunal sont-ils tirés au sort. Mais ce principe est étendu à deux cas extrêmes : la loterie et les assurances. La loterie est une machine à sous, qui outre un gain substantiel pour l'organisateur, distribue à de rares gagnants une somme coquette prélevée sur les mises d'un grand nombre de joueurs, qui n'ont pas tout perdu puisqu'ils ont caressé l'espoir de gagner en participant au jeu. Les assurances accident, maladie ou vie, ainsi que les retraites par répartition, reposent sur un ajustement statistique entre d'un côté les cotisations et d'un autre côté les remboursements, allocations ou pensions. Cette fois-ci, à l'encontre de la loterie, tout le monde paraît gagnant, car quel individu pourrait seul assumer sa propre caisse accident-maladie-retraite ? Mais n'est-il pas opportun d'évoquer alors la bourse dont le système de cotations semble situé à mi-chemin, entre les caisses d'assurances et la salle de casino ? En fait, le grand nombre manifeste son existence à trois reprises : 1° l'assurance est la couverture du grand nombre qui recouvre le plus grand nombre; 2° la bourse brasse sans garantie les affaires du grand nombre; 3° la loterie est la couverture démocratique symbolisant la munificence du grand nombre.

La faillite du grand nombre
Qu'est-ce qui pèse le plus dans la balance du capitalisme ? La navigation à vue de la bourse et du marché ? La sécurité à moyen terme des assurances et de l'État-providence ? Les largesses «magiques-circonstancielles» de la loterie démocratique ? En fait, il est impossible de dissocier les trois modalités de la prise en charge du grand nombre. Car si les assurances cotées en bourse se plient à la loi du marché, les fonds de pension approvisionnant les places financières remettent à leur tour de l'ordre dans le marché. Quant à la loterie démocratique qui assure la promotion de quelques-uns avec le concours du grand nombre, elle est saluée, bien qu'elle effectue un grand écart, comme un événement euphorique et incontestable. Pourtant il arrive de drôles d'histoires aux galettes de la prévoyance et de la bourse, à la cagnotte de la loterie, à toutes ces réserves financières censées alimenter le bien-être du grand nombre. Tantôt le filon paraît inépuisable et le grand nombre n'a qu'à se servir, tantôt la bulle éclate et le grand nombre se retrouve marri. Comment, par exemple, comprendre la dégringolade, en deux décennies, d'un pays riche comme l'Argentine ? Il serait trop commode de rendre responsable de cette catastrophe des politiciens véreux, une poignée de prédateurs ou la mondialisation. Cette faillite peut être aussi strictement démocratique. Car le grand nombre peut vouloir s'enrichir en s'endettant. Les individus du grand nombre, dont les effets multiplicateurs sont indéniables, ont plus les yeux braqués sur le présent que sur l'avenir. Ils préfèrent vivre à crédit, et au pire, ils s'en remettront à une loterie.

La révolution culturelle
En janvier 2003, à l'initiative du Conseil général de l'Essonne, une affiche vantant les mérites de la Carte jeune Essonne est placardée dans tout le département et est abondamment reproduite dans la presse locale. Contre une participation de 10 euros, les Essonniens de 16 à 19 ans pourront obtenir soit un chéquier de 150 euros leur permettant d'acquérir des billets de train, des places de spectacle, des entrées dans un stade, soit un crédit de 300 euros pour de la conduite accompagnée. Cette affiche, dans son imagerie et son traitement proche de la sérigraphie en couleurs, nous ramène ni plus ni moins qu'à la révolution culturelle de Mao. Outre les trois étoiles encadrant le texte, nous découvrons, pour la partie illustrée de l'affiche, trois jeunes garçons en uniforme dans la pose extatique de militants propagandistes. Le plus démonstratif d'entre eux, tout de rouge vêtu, veste boutonnée et col Mao, brandit dans la main droite un livre brun-rouge (ce pourrait être le Livre rouge du président Mao) et dans l'autre un disque. Ultime touche : le logo du Conseil général de l'Essonne ainsi que la mention «Solidaires !» en rouge vif sont apposés sur les trois garçons, autrement dit sur les trois gardes rouges. Cette affiche édifiante n'est sans doute qu'un hommage à l'art de la propagande. Il en émane aussi une certaine nostalgie de la phraséologie révolutionnariste et jeuniste, comme en témoignent le titre «Le pouvoir d'achat aux jeunes !» et l'accroche du texte «Le Conseil général de l'Essonne prend le parti de la jeunesse en inventant la Carte jeune Essonne !». Le bonhomme Mao, comme s'il s'agissait d'un quelconque Bibendum, a encore des aficionados parmi les affichistes et les fonctionnaires de la politique et de la culture.

Gratuité de l'école, école de l'ingratitude
L'école est gratuite, les livres sont gratuits, les préservatifs et la pilule du lendemain sont quasiment gratuits. Difficile de savoir si les distributeurs de préservatifs interviennent dans la courbe des relations sexuelles chez les adolescents. En revanche, il est certain que depuis des années se développe une désaffection vis-à-vis du livre. Les lycéens ont beau utiliser des manuels scolaires et fréquenter des centres de documentation, ils ouvrent rarement à l'école, à la maison, dans les transports en commun ou en vacances, un livre non scolaire. Les garçons, en particulier, semblent éprouver une véritable phobie du livre. Rappelons que pour lire, il faut trois conditions : la solitude, la durée et l'effort. La lecture est un exercice solitaire où la présence discrète de l'auteur se fait sentir peu à peu. La lecture d'un livre peut prendre des heures, voire des journées. Un effort soutenu est indispensable pour mener à bien une lecture. Or les cédés, les jeux-vidéo, la télé et internet, qui exigent autant de temps mais moins d'effort que la lecture et qui de surcroît établissent un contact immédiat et hallucinatoire avec autrui, apparaissent comme une nouvelle forme de culture et donc comme une alternative à la lecture. En fait, le peu d'appétence pour l'effort soutenu trouve son origine dans l'école elle-même. Chargée d'accueillir toute la jeunesse pour un minimum de vingt annuités, l'institution scolaire a substitué à la loi de l'effort le principe du réconfort. C'est dans ces conditions que la jeunesse scolarisée a manqué son rendez-vous avec le livre. Et pourtant, l'édifice scolaire repose en principe sur le livre.

Le portable à l'école
Jusqu'à présent, la politique de l'école en France s'appuie sur une double postulation, scolariste et pédagogiste. Le scolarisme affirme qu'il vaut mieux qu'un enfant, un jeune ou un adulte restent à l'école plutôt que de traîner dans la rue. Pour le scolarisme, et c'est là son axiome politique, l'école, d'essence démocratique, peut réduire et même supprimer les inégalités sociales. Et il ajoute, et c'est là son axiome moral, que l'école, propagatrice des droits de l'homme, est plus morale, plus civique, bref plus éducative que la famille, le travail et les médias. Qui dit scolarisme dit chasse aux illettrés et scolarisation à outrance. Quant au pédagogisme, il assume les conséquences de l'impératif scolariste, en insistant non sur les contenus de l'enseignement mais sur les relations cordiales que doivent entretenir tous les usagers de la «communauté scolaire». Les enseignants, dans une école transformée en lieu de vie, éveillent avant tout les enfants ou les jeunes à leur personnalité. Animateurs et communicateurs, ils dispensent accessoirement un savoir. C'est dans un tel contexte qu'il faut situer l'apparition de l'informatique et du téléphone portable à l'école. Notons d'abord que les jeunes garçons, adeptes des jeux-vidéo, ont appris spontanément à se servir d'un ordinateur à la maison et qu'ils se sont conduits pour l'occasion en autodidactes. L'outil informatique n'a été introduit à l'école qu'après coup. Remarquons ensuite que le téléphone portable s'est propagé à l'école comme une traînée de poudre, spécialement chez les élèves. Le portable signale que l'école n'est plus dans l'école. Jadis, lieu d'étude et de discipline, l'école est à présent un lieu de vie à vau-l'eau.

Servez-vous, c'est gratuit !
«Vous êtes à l'école, servez-vous, c'est gratuit. Vous y passerez de nombreuses et belles années. Vous y apprendrez à aimer, à remuer, à chanter, à danser. Vous mangerez ensemble à la cafétéria. Vous aurez droit à des sorties et des voyages scolaires. Et puis si vous tombez sur un livre, vous pourrez passer votre chemin.» Ce discours qui résume l'invite faite aux écoliers et même aux étudiants paraîtra tendancieux. Pourtant cette sorte d'invitation sort tout droit du programme des scolaristes et des pédagogues. D'ailleurs les termes employés n'ont rien d'extraordinaire. Ils reprennent le blabla qui court dans les prospectus ou les brochures des hypermarchés et des agences de voyages. Cependant, lorsque l'école déclare : «servez-vous, c'est gratuit !», elle ne se contente pas de vendre un produit, elle réussit à orchestrer le comportement du grand nombre. On pourrait citer à cet égard un exemple parallèle. Depuis quelque temps on assiste à la distribution massive et gratuite de journaux dans les métros et gares des grandes villes. Quel est le credo de la presse gratuite ? «Servez-vous, le transport est rapide, vous lirez tout en vingt minutes». Et quelle est la doctrine de l'école gratuite ? «Servez-vous, vous séjournerez vingt ans à l'école, vous n'aurez pas besoin de tout lire.»

Confession et exhibition
La mode est à la confession et à l'exhibition. Et curieusement, cette mode ne connaît pas de répit. La discrétion n'est plus de rigueur. Le chic n'est plus dans la demi-teinte. Les individus du grand nombre se montrent tels qu'ils sont ou tels qu'ils voudraient être. Et ils se font forts de pourfendre les tabous et de dévoiler leur jardin secret. À la société spectaculaire-marchande, décrite par Guy Debord, qui auréolait la marchandise de toutes les vertus, a succédé la surexposition des paroles et des corps. Cet engouement sans faille pour l'épanchement et l'étalage demande quelques explications. 1° Les individus du grand nombre sont devenus, en lieu et place des produits marchands, les nouveaux points de mire. 2° Ils parlent en abondance, disent tout, ne cachent rien, comme si une psychanalyse sauvage déferlait sur les médias, les portables, les courriers électroniques, ou encore devant les distributeurs de café. 3° En contrepoint de la débandade des âmes, les individus du grand nombre revêtent divers accoutrements. 4° Toutefois, s'ils se masquent et s'exhibent, ce n'est pas pour parader mais pour passer inaperçus. 5° Ils sont sans pudeur et ne se sentent pas surveillés; rien n'opère sur eux, ni le surmoi freudien, ni le regard d'autrui sartrien. 6° En fait, l'individu qui parle et qui se montre ne s'adresse à personne; il jette une bouteille à la mer, reconnaissant ainsi tacitement l'existence du grand nombre. 7° Il fait d'ailleurs l'économie de la religion, de la famille et de l'État, en négligeant l'Autre (Dieu, l'inconscient, l'étranger). Car pour lui, le grand nombre est la répétition du Même.

Le crime et le grand nombre
Les suicides sont nettement plus nombreux que les homicides (dix suicides pour un homicide en France). En général, l'assassin assouvit une jouissance ou un intérêt à travers une victime connue ou inconnue (crimes passionnels et meurtres sadiques, crimes crapuleux et règlements de compte). Comme les crimes sont plutôt occasionnels, on est évidemment surpris de l'existence de crimes sadiques en série. Ces criminels en série qui font les manchettes des journaux, on les juge pervers sur le plan psychiatrique mais aussi moral («perseverare diabolicum»). Lançons une hypothèse. Un criminel à la recherche d'une victime n'a que l'embarras du choix face aux individus du grand nombre. C'est l'étendue du choix qui ouvre un boulevard au crime en série. D'une part, les victimes potentielles, beaucoup trop nombreuses, ne se sentent pas personnellement menacées. D'autre part, avec une longueur d'avance sur la police, le tueur en série perfectionne sa méthode et prolonge sa série. Toutefois, dans l'histoire criminelle du grand nombre, la figure du serial killer est en passe d'être supplantée par celle du «tireur fou». Entraîné et solidement armé, le tireur fou est décidé à perpétrer un massacre jusqu'à ce qu'on l'abatte ou qu'il se suicide. Ce criminel hors norme incarne la pulsion de mort. Son principal objectif est de faire un carton dans le grand nombre.

L'acte surréaliste le plus simple
Le massacre fait partie du patrimoine de l'humanité. Il relève le plus souvent de la guerre de conquête, de la furie religieuse, du code de vengeance ou de la terreur politique, et il met en branle des croyances et des pratiques collectives. Assurément, il prend une tout autre tournure quand il est le fait d'un individu isolé qui ouvre le feu sur la foule et déclare la guerre au grand nombre. Quatre exemples viennent ici à l'esprit : 1° Les attentats anarchistes destinés à abattre l'État sans épargner le peuple représentent sans doute les premières démonstrations d'hostilité des individus vis-à-vis du grand nombre. Toutefois, ces attentats ne sont pas strictement individuels. Ils sont l'œuvre d'un groupuscule adoptant la logique classique du complot. 2° Dans le roman d'André Gide, Les Caves du Vatican, Lafcadio précipite d'un train en marche un inconnu. En fait, le dandy Lafcadio réalise une «performance», où il est suggéré que le libre arbitre s'achève dans l'acte gratuit ou que la métaphysique s'accomplit dans l'esthétique. 3° Le 24 juin 1917, Jacques Vaché, le dandy des tranchées, assiste à la représentation des Mamelles de Tirésias de Guillaume Apollinaire. Cette pièce fait, en pleine guerre, l'apologie de la repopulation. Jacques Vaché, particulièrement excité, veut «tirer à balles sur le public». Son ami André Breton parvient à l'en dissuader. 4° On connaît ce passage fameux du Second manifeste du surréalisme : «L'acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à tirer au hasard, tant qu'on peut, dans la foule.» À travers ces quatre éclairages, on découvre peu à peu la dramaturgie du tireur fou, la confrontation sanglante de l'individu et du grand nombre.

La multiplication des assassins
La logistique de la déportation des Juifs, depuis l'arrestation jusqu'à l'arrivée dans le camp d'extermination, a mobilisé un personnel considérable. En revanche, sur place, les nazis, relativement peu nombreux, ont entretenu un climat de terreur tel qu'ils ont pu sous-traiter l'administration de la mort. Afin de réduire la quantité de bourreaux allemands, les basses œuvres les plus répugnantes ont été réservées aux victimes elles-mêmes. Ainsi, les nazis se sont payé le luxe de tremper directement leurs mains dans le sang et les os de la solution finale, non pas à la hauteur de dizaines de milliers d'allemands mais seulement de quelques milliers. Mais il en ira tout autrement lors du génocide perpétré au Rwanda en avril 1994. Là, le grand nombre massacrera le grand nombre. Environ 100 000 Hutus, entourés de complices, abattront, souvent à l'arme blanche, plus de 500 000 personnes, pour la plupart des Tutsis.

La concentration de population
L'accès à un ascenseur ou à un moyen de transport, l'accueil à l'école ou dans un musée, le séjour à l'hôpital ou en prison, sont réglementés. En particulier, le nombre d'usagers, de voyageurs ou de visiteurs est strictement limité. Et de tels seuils sont fixés pour des raisons de sécurité ou par souci de confort. Observons que la quantité humaine est déjà préfigurée ou inscrite dans les objets techniques et architecturaux. Dans une clinique de cinquante lits, coucheront au maximum cinquante malades. Un parking prévu pour cent autos n'en logera pas une de plus. Mais voilà que surgit un paradoxe : alors que le grand nombre est astreint à une comptabilité dans ses redistributions ou ses déplacements, il ne fait pas l'objet d'une évaluation en tant que grand nombre. Au contraire, il semble aller de soi que les populations ne peuvent que croître et multiplier. Double bind : contingenté à l'échelle de la vie quotidienne, le grand nombre continue à se déployer à grande échelle. Nous ne pointons pas le surnombre. Pourtant la surpopulation existe et sévit. Elle est même le facteur déclenchant de plusieurs guerres civiles, notamment en Afrique. La densité des populations dans la région des Grands Lacs, au Rwanda et au Burundi, nourrit l'hostilité entre Hutus et Tutsis. Ajoutons que le conflit Israël-Palestine prend de plus en plus une tournure démographique, la bande de Gaza battant tous les records de concentration de population.

Le «tireur fou» et les «génocidaires»
Le tireur fou va jusqu'à abattre dix, vingt inconnus, rencontrés sur son chemin. Comme il finit par se suicider, on ouvre rarement son procès. Dans une guerre civile démographique, les bandes de massacreurs s'en prennent aux gens du voisinage. Au Rwanda, les armées et les milices Hutus ayant été vaincues militairement, des dizaines de milliers de «génocidaires» ont été arrêtés. Depuis, ces «génocidaires» croupissent en prison, en attendant d'être jugés. Mais comment instruire leur procès ? Comment distinguer les assassins des comparses ? Les «repentis» auront-ils droit à une remise de peine ? C'est tout le processus de la justice qui est bouleversé, quand doivent comparaître des dizaines de milliers de bourreaux, ayant à répondre chacun d'un massacre ou d'un simple crime.

La phobie du grand nombre
Face aux rares tireurs fous ou aux innombrables bandes de «génocidaires», la réflexion chavire. Soit on les qualifie de monstres, et on ne leur accorde pas de responsabilité personnelle. Soit on les juge sous l'influence de la fureur médiatique, pour le tireur fou, ou sous l'empire d'une haine ancestrale, pour les «génocidaires», et on ne daigne toujours pas leur reconnaître un libre arbitre. Mais leur furie meurtrière découle en fait d'une volonté exterminatrice, qui a précisément pour objet le grand nombre. Au Rwanda, les massacres sont autant «démocidaires» que «génocidaires». D'ailleurs des milliers de Hutus ont aussi été mis à mort par les «génocidaires» Hutus. On n'a pas fini de recueillir les retombées de l'explosion démographique.

L'humanitaire et le démocidaire
De même que la démocratie est rattrapée par la démographie, la passion humanitaire est suivie de près par la pulsion démocidaire. Que trouve-t-on dans les bagages de l'humanitaire triomphant ? 1° une bible des droits de l'homme; 2° une trousse d'urgence de l'humanitaire sanitaire; 3° un drapeau des médias universels; 4° un message multiculturaliste. En réalité, la foi humanitaire se réduit à un seul article, fortement inspiré par le traumatisme à retardement de la Shoah : «sauver des vies humaines à tout prix». En dehors de cet impératif unique, tout est permis. Or, au moment même où la passion humanitaire clame urbi et orbi son désir de conserver en vie le moindre souffle humain, des démences assassines, des passions démocidaires se donnent libre cours.

«LISEZ :», «NE LISEZ PAS :»
En 1931, la Librairie José Corti édite un catalogue des livres et publications surréalistes. En quatrième de couverture, sont disposées en colonnes et dans l'ordre chronologique deux listes antinomiques. Sous la rubrique «LISEZ :», figurent les noms de cinquante-six auteurs subversifs (depuis Héraclite jusqu'à Savinio) et sous la rubrique «NE LISEZ PAS :», ceux de cinquante-neuf écrivains plus classiques (de Platon à Malraux). On reconnaît là, dans une perspective plus ironique que dogmatique, le différend entre modernes et classiques. Ajoutons qu'André Breton remaniera par la suite les deux listes. Et nous autres, aujourd'hui ? 1° Nous sommes tiraillés entre écouter, regarder et lire. Mais nous préférons regarder un film, ou alors écouter de la musique, et seulement en désespoir de cause nous nous adonnons à la lecture. 2° Entre un bouquin et une bande dessinée, nous plongeons dans la BD. 3° Il y a une quantité de livres que nous n'ouvrirons pas, pour la bonne raison que nous les connaissons déjà par ouï-dire. 4° Un soupçon pèse sur la lecture. Ne serait-ce pas un plaisir solitaire ? 5° Quitte à lire, ce sera pour en causer, et nous irons piocher dans les listes des meilleurs ventes. 6° Entre la flatterie de la pub, le copinage de la critique et le réchauffé des campagnes prônant la lecture, plus personne ne semble croire qu'un livre se défende de lui-même. 7° Plus les auteurs se professionnalisent, moins il y a d'amateurs parmi les lecteurs. 8° Mais n'aurait-on pas attrapé la phobie du livre durant les années d'école et d'université ?

Le génie du troupeau
Sans doute, sous d'autres cieux, à Tahiti ou en une paisible Arcadie, paissait le troupeau humain, conduit par quelque pasteur divin. On peut en rêver, tout en lisant Le Politique de Platon ou Les Immémoriaux de Victor Segalen. Ou plus exactement, nul besoin de rêver. Nous y sommes de plain pied. L'ancien mythe se réactualise sous nos yeux. D'abord, la démocratie, en égalisant les droits des hommes, réalise la condition du troupeau. Ensuite, le capitalisme mondial, en alimentant six milliards de bouches, subvient aux besoins des populations. Sans compter l'humanitaire sanitaire, qui veille sur les plaies et les bosses. Enfin, et c'est là le vrai miracle, le bonheur de la multitude est assuré puisque les individus du grand nombre sont tous sans exception des génies. En fait, trois étapes ont été franchies : 1° la royauté et le gouvernement ont été abolis; la démocratie nous a délivrés de la politique; 2° les besoins matériels ont été satisfaits et des désirs immatériels inventés; le capitalisme a popularisé la déliaison dans les relations sociales et l'innovation dans la technique; 3° Où en est le communisme du génie ? Les individus du grand nombre se rassemblent-ils ou se dispersent-ils ? Raffolent-ils des microdurées qu'ils se mettent sous la dent ? Les génies sont-ils photogéniques ? Nous le saurons au prochain numéro.

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03/04/2006

Zone indexée

Philip Guston, Zone

Philip Guston, Zone.

Il va décidément falloir que je demande à Dominique Autié par quel miracle d'opiniâtreté, de patience et de connaissances purement techniques il est parvenu à doter son splendide site d'un index pour le moins efficace, s'il n'est exhaustif. J'ai déjà réussi à installer, grâce aux bons soins, une fois de plus, de Philippe Pinault, un moteur de recherche interne à la Zone mais ce n'est là qu'un pis-aller. C'est en tout cas ce que je me suis dit en me promenant dans la Zone afin de l'explorer dans le moindre de ses recoins : c'est peut-être la deuxième fois seulement que je m'adonne à une telle exploration, éreintante à bien des égards, d'abord parce que l'on parcourt, gêné, de vieux textes sans âme, journalistiques, secs, inutiles, rédigés en quelques minutes seulement comme le sont ces millions de petits exercices insignifiants de non-écriture qui constituent le corps immense et contrefait de ce Gargantua virtuel appelé le blogging. Cette exploration ou plutôt, cette marche sans but précis, m'a toutefois permis de remettre en lumière un certain nombre de textes que je ne me souvenais même plus avoir écrits... J'ai ainsi créé une nouvelle rubrique de liens, intitulée Démonologie, et ajouté quelques nouveaux textes aux catégories baptisées Le cadavre de la France (comme London bombing), Maljournalisme (Netizen) ou encore Étonne-moi, saint Espace ! (Paniques martiennes). Enfin, j'ai pensé témoigner de mon amitié envers celles et ceux qui ont écrit des textes pour moi en créant une dernière nouvelle catégorie, Hôtes.
Je ne sais pas si ces chiffres signifient quelque chose mais, à tout hasard, je les livre, alors même que j'ai observé, depuis la création de ce blog voici à présent bien des mois, un silence modeste quant à ce qu'il est convenu d'appeler les statistiques de fréquentation de la Zone : pour le mois de mars, les compteurs du Stalker ont enregistré 28 827 visiteurs uniques qui ont effectué 45 904 visites et ont vu, voire lu 113 852 pages. Les chiffres les plus anciens dont je dispose datent du mois de novembre 2004 : ils indiquaient alors 5 146 visiteurs uniques pour 7 038 visites et 16 512 pages vues, voire lues. Ces chiffres bruts me paraissent énormes, surtout pour un site tel que le mien, rien de moins que difficile, je le sais et... m'en réjouis. Je regrette que, à la différence de l'ancienne plate-forme de Haut et Fort, nous ne puissions plus connaître la provenance géographique de celles et ceux qui parcourent nos blogs et, même si je connais l'existence d'un certain nombre de gadgets qui pourraient pallier cet inconvénient, je ne puis me résoudre à déparer de l'un de ces affreux compteurs la page d'accueil du Stalker.
Désolé si j'écorne ainsi le sacro-saint mythe moderne de l'absolue transparence, mais, refusant d'installer ces usines à gaz qui mouchardent impunément, c'est sans doute que je suis encore assez soucieux de la qualité esthétique de la Zone...

Quoi d'autre, pour finir ? Un excellent (m'a-t-on dit) petit (cette fois, j'en suis sûr) entretien que m'a accordé Vox Galliae et, d'ici quelques jours sans doute mis en ligne, un dialogue beaucoup plus conséquent avec Claude Marc Bourget, directeur de la très belle revue électronique Strix Americanis.
Inutile de préciser que, devant de plus veiller à quelques ultimes détails liés à la parution très prochaine de La Critique meurt jeune, je suis littéralement vampirisé par la Zone, les corrections d'épreuve et la rédaction de tel ou tel papier pour d'hypothétiques revues littéraires, il en reste encore quelques-unes en France... Pour combien de temps encore ?

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01/04/2006

L'enterrement d'Ilan Halimi, par Frédéric Gandus

Crédits photographiques : Vyacheslav Oseledko (AFP/Getty Images).

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30/03/2006

Solaris de Stanislas Lem et le Dieu incompréhensible

Crédits photographiques : James Nicholson, NOAA NOS NCCOS Coral Culture and Collaborative Research Facility, Charleston, South Carolina (Nikon Small World).

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28/03/2006

Les bases du terrorisme islamiste, par Alexandre Del Valle

Crédits photographiques : Nashanuddin Khan (Associated Press).

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26/03/2006

La sociologie n’a pas de chance, par Jean-Gérard Lapacherie

Crédits photographiques : Stefan Wermuth (Reuters).

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25/03/2006

Tsunami au royaume de Lilliput



«La presse, ce goitre du monde, s'enfle de sa soif de conquêtes, éclate sous la pression des victoires qu'apporte chaque jour.»
Karl Kraus, La Découverte du pôle Nord, in Cette grande époque.


Vous ne le savez pas, personne ne le sait d'ailleurs, hormis quelques manchots de la terre Adélie qui les premiers ont assisté au terrible raz-de-marée et, nous disent les dépêches de l'AFP, depuis sont morts par dizaines de milliers, leurs petits cadavres affreusement démembrés flottant au milieu d'un chaos indescriptible de blocs de glace arrachés de l'Antarctique. Vous me direz encore que tout le monde s'en contrefiche à l'exception sans doute, ici, de quelques amoureux de cette vaillante race de pingouins qui s'affligent d'une extermination à grande échelle de ces animaux et, là, quelques heureux passionnés des tracés des sismographes qui, grâce à l'ampleur du séisme, ont pu de fait affiner leurs modèles mathématiques. En effet, ce que la blogosphère, ébranlée, vient de subir en quelques secondes intenses comme une explosion de novæ, n'est rien de moins que l'une de ses crises de croissance les plus fortes, le passage, sur un territoire immatériel grand comme plusieurs Europe géantes, d'un dévastateur ouragan Katrina pourtant invisible. Je n'irai pas par quatre chemins en vous disant que la Toile vient ni plus ni moins que d'enregistrer les secousses d'un tsunami dont l'épicentre est le nano-blog (je n'invente rien...) de... Cyril Fiévet.
Pardon ? Comment ? Vous me dites que vous ne comprenez pas de quoi je parle et me demandez, en plus, qui est ce Cyril Fiévet ? Comment cher monsieur, vous ne le connaissez pas, sans rire ? Oui, bon, certes, notre amitié est certes fort récente puisqu'elle est née au cours d'un de mes séjours en cette lointaine terre australe où ce savant émérite et reconnu de ses pairs étudiait le rare phénomène de la migration des pingouins adolescents mais... Effectivement, je vous le concède, c'est un peu loin tout de même, le pôle... Et les pingouins sont le cadet de vos soucis à l'heure où les rats anarchistes, sortis de leur cave d'ignorance puante, envahissent par dizaines de milliers les rues de Paris ? Bien... Je vois que vous n'êtes pas prêt de me faciliter la tâche... C'est vrai, c'est vrai, je ne savais rien, moi aussi, de cet illustre explorateur du pôle Sud virtuel jusqu'à ce que je lise ce nadir de la culture journalistique qu'est Netizen... Mais quoi encore, une nouvelle fois, vous me soupçonnez ? Je vous assure, puisque je ne puis décidément rien vous cacher : oui, j'ignorais jusqu'à l'existence de ce Cyril Fiévet il y a encore quelques jours à peine puisque cet homme est tout de même le rédacteur en chef d'une revue qui n'est, vous avez raison de le souligner, pas grand chose, un assemblage commercial d'articles publicitaires mal écrits dont le contenu est aussi pauvre qu'une terre congelée sous un kilomètre de permafrost.
Est-ce tout me demandez-vous ? Euh, oui, je le crains mais il y a tout de même de quoi réfléch... Non ? Quoi d'autre encore ? Que je me dépêche de poursuivre mon histoire qui s'enlise sur la banquise alors même qu'elle ne parvient pas à se mettre en marche, comme l'une de ces longues files de manchots empereurs à tout jamais balayées par la catastrophe polaire ? Vous êtes bien dur l'ami mais ces rudes manières me vont assez et puis, voyez-vous, à peine revenu du pôle, mon cerveau a bien dû mal à se dégourdir, en somme, à se décongeler, comme la pensée de tel intellectuel anglais, forcément et férocement communiste... Bien, je vous livre donc toute l'affaire, oui, les faits, rien que les faits c'est juré, en vous apprenant que Cyril Fiévet a annoncé hier, roulant ses tambours insonores, qu'il quittait avec pertes consubstantielles et fracas dirimants l'aventure (dans des cas aussi insignes, il s'agit toujours, n'est-ce pas, d'aventures ou de petits pas pour l'homme qui n'en sont pas moins de fantastiques bonds pour... oui, je me doute bien que vous connaissez la suite, cher monsieur. Reste que... poussez-les un peu et ces nains lâcheraient sans rire le mot odyssée pour décrire leur téméraire saut de puce...), l'aventure donc Pointblog, une grosse cylindrée bien huilée qui, en cette noble et difficile carrière qu'est le blog, s'était frayée un passage à même le granit le plus dur, faisait apparemment la pluie et le beau temps sur le potager des blogueurs par la qualité de ses analyses, la fraîcheur de ses informations, la douce tempérance de son écriture invertébrée, aussi inventive qu'une culasse de moteur de tondeuse à gazon. Est-ce tout ? Mais oui, voyons... Quoi ? Vous me dites que vous ne savez rien de cette catastrophe, qu'aucun de vos proches n'a même été emporté par l'une des immenses vagues de ce tsunami qui, dit-on mais l'information reste à vérifier, a été ressenti jusqu'au pôle Nord, à plusieurs milliers de kilomètres de l'épicentre ravageur ? C'est tout de même bien étrange parce que, selon mes informations dûment recoupées, plusieurs blogs, sentinelles du vide, éclaireurs du désert des Tartares placés aux avant-postes de la Toile en deuil, ont sonné l'hallali comme les fières balises virtuelles qu'ils ont prêté serment d'être, annonçant d'un beau clairon moutonnier l'immense tragédie qui eût fait écrire à Voltaire, s'il était encore des nôtres, des poèmes dignes de ceux peignant le dramatique tremblement de terre qui détruisit Lisbonne en 1755. Pourquoi Voltaire me demandez-vous ? Ah, mais c'est que vous remarquez absolument tout... Pardi, Voltaire parce que Cyril, justement, est l'un de ses admirateurs transis, quelque chose comme son plénipotentiaire surgeon bloguscule.
Je suis tout de même en mesure d'établir une chronologie, certes grossière, de la catastrophe médiatique qui a frappé nos esprits, comme suit : le jour de disgrâce vendredi 23 mars, à 15 heures 31 minutes et 28 secondes, Cyril Fiévet annonce, en des termes d'une magnifique sobriété taisant une douleur que l'on devine shakespearienne, qu'il ne participera plus à l'odysséenne aventure de Pointblog. Quelques secondes plus tard, à 15 heures 31 minutes et 32 secondes, le premier scrutateur des ténèbres de l'Extérieur répercute la nouvelle, lançant une question devenue fameuse (Pointblog avec un point d'interrogation) mais restée toutefois sans réponse, en lui donnant la somptueuse et tragique beauté de l'horrible qui, désormais, auréolera le déroulement implacable de toute l'affaire. C'est ensuite un unique tumulte mêlant des voix tremblantes de douleur qui, dans des termes dont je me dois de saluer l'absolue originalité linguistique, crient, toutes s'interrogent, bouleversées et inquiètes, traversent, comme le Satan de Milton, des distances effroyables de vide pour parvenir au Centre de Commandement des Opérations Stratégiques, puis de là s'enfoncent dans les couloirs de l'immense Palais de la Veille Médiatique (communément appelé le Paradis) jamais désert, centre névralgique de la Toile sonnant comme un seul tam-tam infini, toujours frémissant d'une bourdonnante activité, tandis que, dès 15 heures 31 minutes et 36 secondes à peine après que la première onde de choc ait décimé une paisible colonie de manchots arnaqueurs, les images du tsunami sont alors disponibles, filmées au péril de la vie de plusieurs membres d'équipage et alors même que les milliers de cadavres de pingouins, soulevés par des vagues de 200 mètres de hauteur comme l'annonçait l'Apocalypse de Jean, pleuvent sur le ponton du navire Le Débordant.

Ayant donc modestement rappelé le déroulement des événements, alors même qu'au moment où j'écris ces lignes, d'autres foyers de résistance rougeoient d'une belle ardeur jacassière, je profite de cette éphémère accalmie pour entonner avec vous mes frères, hommes de paille en l'an de paille, les Très Pieuses Antiennes du Réseau qui nous donneront assurément la force de bâtir, sur cet Armaguédon annonçant les temps sombres de l'abomination de la désolation, une arche nouvelle où préserver toutes les races de pingouins s'élançant sur toutes faces glacées de ce monde :
Sur la Toile, rien de ridiculement petit ne peut se produire, absolument rien de nanoscopique qui ne soit immédiatement répercuté, transmis, amplifié, grondé, grossi, tonné, glosé, stratifié, ramassis, conspué, épinglé, interprété, insignifié, amoindri, digéré, évacué, oublié.
Sur la Toile, ce Flatland absolu qui s'auto-engendre en permanence, la vitesse de propagation du virus est inversement proportionnelle à la gravité de l'infection : quelques secondes seulement ont suffi pour que la nouvelle du tsunami exterminateur, comme une vague médiatique d'une puissance inédite, ait été relayée jusqu'aux plus lointaines vigies virtuelles, par exemple cette désertique Zone qui tout juste vient de s'équiper d'un poêle à charbon.
Sur la Toile, la durée de l'érection n'excède jamais plus de quelques millisecondes, l'éjaculation pouvant souvent être déclenchée sans que le moindre frôlement ni contact, voire la plus légère trace d'activité mentale suspecte ou phantasmatique, n'aient été détectés par les instruments les plus sensibles.
Sur la Toile, la stérilité étant l'un des piliers marmoréens de la charia rhizomique et le plaisir un commandement divin, toute éjaculation est à la fois immédiatement transmise, augmentant la taille de la goutte insignifiante de l'éjaculat et pourtant parfaitement inefficace, ne provoquant jamais un grossissement qui serait, par exemple une réelle grossesse.
Sur la Toile, les plus terribles événements, les vaguelettes déformant la surface du ruisselet dans lequel nul ne peut prétendre s'être baigné deux fois, sont toujours suivis d'un brouhaha qui est silence de l'esprit, dans lequel la Termitière recueille ses forces, mobilise ses ouvrières chargées d'ériger non seulement de nouvelles digues mais de percer une multitude de tunnels informatifs ou plutôt : dubitativo-informatifs.
Sur la Toile, tous les fiévreux Fiévet, tous les Cyril labiles, aussitôt nés, sont radicalement avalés par la Matrice et transformés en liquide amniotique nourricier à destination de la Machine, la multitude des minuscules co-machines prélevant au passage leur part microscopique du cadavre ainsi impeccablement recyclé.
Sur la Toile, tous, les quelques exceptions étant traquées sans aucune pitié, nous nous passons de l'invention inutile de Gutenberg.
Sur la Toile, nul ne peut espérer, pour s'échapper du royaume de Lilliput, devenir Gulliver.
Sur la Toile enfin, les singes se réchauffent même en hiver et se demandent si, par malchance destinale, ils ne seraient décidément rien d'autre que de bavardes putes.

Prions mes frères ou... rions.

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21/03/2006

Michel Crépu lecteur de George Steiner : tout va bien !

Crédits photographiques : Jim Bourg (Reuters).

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20/03/2006

Durtal au Salon du Livre



Il n'y a vraiment pas besoin de se rendre au Salon du Livre (comme du reste je l'ai fait, mon invitation pour deux personnes en poche !), encore moins tenter de trouver une quelconque pertinence à son pathétique et ridicule blog, apparemment très peu fréquenté si j'en juge par la maigreur des commentaires qui y sont déposés, puisque, par avance, en 1891, Joris-Karl Huysmans nous avait décrit le bifide public que nous y trouverions. Il est vrai que bien peu des lecteurs ont, de nos jours, de la mémoire... Peut-être même d'ailleurs ne savent-ils rien de Huysmans... Dans ce cas, en effet, le Salon du Livre est un temple aimanté où ils sauront dénicher le dernier nanar de... Francis Huster (à moins qu'il ne s'agisse d'Amélie Nothomb : peu importe, tous sont égaux sous l'immense drapeau du cloportisme), spécialiste, comme Durtal paraît-il, du diabolique Gilles de Rais.

«Durtal avait cessé, depuis près de deux années, de fréquenter le monde des lettres; les livres d'abord, puis les racontars des journaux, les souvenirs des uns, les mémoires des autres, s'évertuaient à représenter ce monde comme le diocèse de l'intelligence, comme le plus spirituel des patriciats. À les en croire, l'esprit fusait en baguettes d'artifices et les reparties les plus stimulantes crépitaient dans ces réunions. Durtal s'expliquait mal la persistance de cette antienne, car il jugeait, par expérience, que les littérateurs se divisaient, à l'heure actuelle, en deux groupes, le premier composé de cupides bourgeois, le second d'abominables mufles.
Les uns, en effet, étaient les gens choyés du public, tarés par conséquent, mais arrivés; affamés de considération ils singeaient le haut négoce, se délectaient aux dîners de gala, donnaient des soirées en habit noir, ne parlaient que de droits d'auteurs et d'éditions, s'entretenaient de pièces de théâtre, faisaient sonner l'argent.
Les autres clapotaient en troupe dans les bas-fonds. C'était la racaille des estaminets, le résidu des brasseries. Tout en s'exécrant, ils se criaient leurs œuvres, publiaient leur génie, s'extravasaient sur les banquettes et, gorgés de bière, rendaient du fiel.»
Joris-Karl Huysmans, Là-bas, 1891.

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16/03/2006

Max Nordau, Gustave Le Bon et Édouard Drumont ou la trinité diabolique

Crédits photographiques : Dr. Andrew Gillis.

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15/03/2006

Netizen n°2 : portrait du blogueur en jeune con



J'organise un grand jeu-concours. Le lecteur qui trouvera par quel auteur ces lignes ont été écrites (je puis seulement dire : il est mort depuis des lustres et ne fait à l'évidence pas partie du panthéon littéraire des rédacteurs de Netizen), lignes qui me paraissent admirablement évoquer l'impérissable figure du blogueur, gagnera une semaine de vacances dans la Zone, accompagné de la cicérone de son choix, Samantha, Natacha ou Sandra, trois adorables droïdes de dernière génération, plus vraies que nature je le garantis. Ce prix peut bien sûr être échangé, sur simple demande écrite, contre un abonnement à vie au magazine dont il va être traité dans les lignes qui suivent.

Voici l'extrait dont l'auteur est pour l'instant inconnu. J'attends donc, amusé, vos réponses angoissées : «À l’incapacité d’agir se rattache l’amour de la rêverie creuse. Le dégénéré n’est pas capable de diriger longuement ou même un instant son attention sur un point, pas plus que de saisir nettement, d’ordonner, d’élaborer en aperceptions et jugements les impressions du monde extérieur que ses sens fonctionnant défectueusement portent à sa conscience distraite. Il lui est facile et plus commode de laisser produire à ses centres cérébraux des images demi-claires, nébuleusement fluides, des embryons de pensées à peine formés, de se plonger dans la perpétuelle ébriété de phantasmes à perte de vue, sans but ni rive, et il n’a presque jamais la force d’inhiber les associations d’idées et les successions d’images capricieuses, en règle générale purement automatiques, ni d’introduire de la discipline dans le tumulte confus de ses aperceptions fuyantes. Au contraire. Il se réjouit de son imagination, qu’il oppose au prosaïsme du philistin, et se voue avec prédilection à toutes sortes d’occupations libres qui permettent à son esprit le vagabondage illimité, tandis qu’il ne peut pas se tenir dans des fonctions bourgeoises réglées qui exigent de l’attention et un égard constant pour la réalité. Il nomme cela «une disposition à l’idéal», s’attribue des penchants esthétiques irrésistibles, et se qualifie fièrement d’artiste.»

Netizen est assurément, pour quelques heures de célébrité, dans la Zone mais, après la lecture de ces lignes (bien suffisantes, car cette lecture m’a beaucoup coûté) consacrées à leur revue, il y a fort à parier que ses rédacteurs décident que la Zone, elle, jamais ne sera saluée par Netizen. Tant mieux, je le dis sans la moindre ironie ni même déception malgré le fait que, encore naïf, j’ai signalé à plusieurs reprises et sur son propre blog, au responsable de cette revue (je le suppose, puisque je ne dispose point de son adresse électronique personnelle), l’existence de blogs littéraires, dont le mien, pourquoi le cacher, qui méritaient sans conteste de retenir son attention. Il est vrai que je n’avais pas encore acheté Netizen et que je ne pouvais donc pas, d’emblée, condamner une entreprise qui me semble à présent beaucoup plus commerciale que qualitative, si j’en juge par la présence, dans les pages de ce deuxième numéro, d’un Michel-Édouard Leclerc lequel, on s’en serait douté, n’a strictement rien d'autre à dire que de profondes banalités… Et encore, nous restons tout de même, avec Leclerc, dans un domaine peu ou prou apparenté à une forme de discours argumenté puisque j’allais oublier de vous signaler la présence, dans ces mêmes pages, du patron de Skyblog, Pierre Bellanger qui nous livre ses analyses (ici complètes) les plus inspirées : avec ce dernier et malgré une utile réserve exprimée par la rédaction de Netizen quant à la politique pour le moins laxiste de Skyblog à l’égard de ses blogueurs (cf. p. 22), nous quittons la terre ferme de l’insignifiante banalité pour voguer sur l’étendue immense d’un océan de vulgarité sans bornes connues.
Avançons, car le temps passé à lire ce magazine ne me sera point rendu je le crains. Je ne suis donc pas certain, d’abord, que l’idée de consacrer une revue entière, de surcroît payante, au phénomène des blogs par essence gratuits soit, de prime abord, excellente. Reste ensuite, une fois cette malformation de naissance plus ou moins acceptée par ses parents, à nourrir l’enfant difforme, et pour cela tenter de franchir la barrière altissime d’un ridicule éditorial (signé par Cyril Fiévet, rédacteur en chef) confondant de banalité, entassant les truismes à l’occasion de l'affaire des caricatures du prophète Mahomet, sur la sacro-sainte liberté de la presse, dans un texte se mordant finalement la queue de bien laide façon, qui plus est autoritaire, donc en contradiction flagrante avec le dessein du propos : «A vrai dire, écrit ainsi Fiévet, s’agissant d’un pilier de notre démocratie, elle [il s’agit de la liberté d’expression bien sûr] ne devrait même pas être débattue». Curieux, n'est-ce pas ? Oui, bien étrange argument (qualifié, comme par hasard, d'autorité) consistant à faire taire cette liberté devant l’existence même de la démocratie, critiquable de facto comme n’importe quelle autre réalité historique, de surcroît relative et rien de moins qu'assurée d'être pérenne. Bien sûr, il faut comprendre que, dans l’esprit de Fiévet, c’est bel et bien le système démocratique considéré comme la panacée absolue (qui d’ailleurs me permet d’écrire ces lignes de critique, me fera-t-on assez peu finement remarquer), qui a pris, au ciel des fixes cher à Du Bos, la place de «la multitude des croyances et des superstitions qui abondent en ce monde». Magnifique tirade qui sent (mauvais) son petit voltairianisme de salon car, si notre tolérant et ouvert (cela va de soi) Fiévet avait bien lu ce qui s’est écrit sur certains blogs (ceux, assurément, qu’il ne lit jamais), il aurait remarqué que bon nombre vantaient l’idée d’un respect de ces mêmes croyances. Je l’ai écrit : non seulement, donc, il n’est pas certain que la liberté absolue que réclament nos moutons républicains et laïcs (cela, aussi, va de soi) soit la meilleure garantie de qualité de l’art, de la pensée, de la presse même mais il est en outre parfaitement inadmissible que la crasse ignorance, en matière religieuse, s’étale dans des canards indignes, désireux d'augmenter leurs ventes. Je renvoie Fiévet, sur ce point d'une critique de la liberté totale, à un ouvrage, encore un, qu’il n’a pas lu : La Persécution et l’art d’écrire de Leo Strauss.
Car, dans cette affaire dite des caricatures de Mahomet, nos modernes et invétérés défenseurs de la liberté n’avancent jamais le bon argument, celui-là même qui a pourtant dicté leur conduite bien évidemment au-dessus de tout soupçon, puisqu'ils se proclament citoyens sans frontières de la Toile (le sens même du mot anglais netizen, citoilien en somme). Quel est donc ce point noir, cette écharde dans la chair qui gênent nos petits apôtres répandant, sans souffrir la moindre contestation, la bonne nouvelle de leur épuratrice mission voulant éradiquer tout fanatisme ? Ce n’est tout de même pas le secret le mieux gardé du tout-Paris blogueur, n’est-ce pas ? Le voici, ce secret d'alcôve sollersienne : habitués comme ils le sont à cracher en toute impunité sur les symboles chrétiens, les décisions prises par la hiérarchie catholique, voire sur les pratiquants eux-mêmes moqués dans leurs plus intimes croyances, nos petits Bernard Gui virtuels ne supportent point que des fidèles, ici musulmans, aient clamé avec une violence certes inadmissible que leur foi ne saurait être attaquée par de petits imbéciles bien à l’abri dans leur salle de rédaction. Que ces crétins payent, et non d’autres, innocents, pour l’offense commise, je ne vois rien de bien choquant. Après tout, si, armé de mon seul courage de fier occidental définitivement débarrassé de l'Infâme stigmatisé par l'immonde Voltaire, j’allais, par exemple sur une place de Ryiad à l'heure de la prière, hurler mes moqueries à la barbe du prophète, il y a fort à parier qu'on ne me laisserait pas beaucoup de temps pour terminer mon prêche et exercer démocratiquement l’usage de ma langue, voire celui de ma tête, subitement séparée de mon corps d'infidèle pour avoir clamé mon irréfragable droit à la critique démocratique. Faites donc le même essai, par exemple à l’intérieur touristique de Notre Dame, comme l’ont fait les irresponsables imbéciles d’Act Up : que se passera-t-il alors ? Rien, absolument rien. De bons et placides catholiques, croyant sans doute qu’il s’agit là de quelque manifestation festive organisée par M. le curé pour attirer de nouvelles ouailles, glisseront dans votre poche des piécettes pieusement consacrées, tout heureux de participer à peu de frais à une si caritative manifestation de tolérance.
Je disais qu’il fallait déjà, pour tenter de parcourir cette revue, franchir le massif pratiquement himalayen d’une crétinerie auto-satisfaite, pieusement confite dans quelques lieux communs dont n’osent même plus se servir les journaliers décérébrés des Inrockuptibles ou de Technikart. La suite vaut toutefois son poids d’encens (malgré la pertinence de certains articles purement informatifs : par exemple sur les moteurs de recherche, sur le blogging structuré ou encore sur la naissance d’une blogosphère juridique française), et ne m’a pas vraiment poussé à faire preuve de plus d’aménité. Une fois de plus, c’est l’un des articles de ce même Cyril Fiévet, décidément pilier friable de la rédaction, que j’ai punaisé sur la planche des lieux communs les plus incroyablement sots. Dans le dossier racoleur consacré aux blogs d’ados, la double page rédigée, sans doute à la hâte, par Fiévet peut ainsi justement apparaître comme le modèle absolu de l’article auto-suffisant, incapable de proposer une dialectique rigoureuse (pour preuve, les laborieuses transitions censées cheviller ses différents paragraphes), liant ses nombreuses maladresses en un pitoyable bouquet de mauvaise foi, à moins qu’il ne s’agisse réellement du credo imbécile de notre malhabile libre penseur. Je résume son propos, qui sous ma plume gagnera je l’espère en clarté : certes, la grande majorité des adolescents sont absolument incapables d’utiliser un vocabulaire d’un niveau à peine simiesque. Certes encore, lorsqu’ils y parviennent au prix de minutes intenses de concentration douloureuse, c’est pour ne strictement rien nous apprendre de plus que la couleur des ongles de pieds de Patricia ou la marque de la nouvelle tire du voisin vachement cool, Raoul. Mais, nous affirme Fiévet qui fait preuve, pour l’occasion, d’un remarquable sens de l’enchaînement dialectique, «est-ce là le plus important ?». De peur que nous ne suivions plus son argumentaire, il va même jusqu’à nous demander de nouveau, quelques lignes plus loin, visiblement inquiet d’avoir raté son impeccable démonstration : «Mais là aussi, est-ce le plus important ?». Vous vous doutez dès lors de la courageuse réponse que nous donne notre imparable logicien : non bien sûr, ce n'est pas le plus important car il apparaît au contraire «légitime – et souhaitable – que le monde adulte s’intéresse très sérieusement à ces blogs, et aux jeunes qui les animent» puisque, dans le cas contraire nous assure, sans rire, notre bon maître es-logique, ce «serait non seulement dommage mais, probablement, coupable» ! Fichtre, mon optimisme en a pris un mauvais coup. J’ai en tout cas ri de bon cœur, quelques minutes durant tout de même, devant cette baudruche qui, à peine gonflée et aux prix de quels efforts, échappe à notre anxieux souffleur et se propulse au travers de la pièce en lâchant un bruit suspect de dégazage.
Voyez d’ailleurs, semble nous dire Cyril Fiévet dans ces lignes qu’il n’a même pas écrites, estimant sans doute qu'il en avait suffisamment dit, voyez d’ailleurs tous ces admirables jeunes en colère qui, durant des semaines, ont récemment mis à feu et à sang les banlieues de la France entière, sans doute parce que nul ne les écoutait. Voyez encore ces autres jeunes que l’on moque, frères nantis des défavorisés parqués dans les zones citadines où ils ne peuvent que rouiller, auxquels on promet un avenir de précarité absolue (je demande à ces imbéciles et à leur preux défenseur : qu’ils contestent donc, s’ils le peuvent, le caractère absolument précaire de n’importe quelle vie d’homme), voyez-les donc, ces courageux morveux enturbannés dans leur crasse, leur kéfié, surtout dans leur inculture prodigieuse et leurs préjugés idéologiques, prendre d’assaut les universités, vandaliser la Sorbonne et, bons démocrates qu’ils sont, demander l’abrogation non-démocratique d’une mesure qui les gêne, peut-être mauvaise d'ailleurs, là n'est pas mon propos, mais en tout cas votée au Parlement, ayant donc force de loi.
Vous en voulez encore, chers lecteurs ? Pardon mais je dois vous avouer que mon exemplaire unique de Netizen, en fait non point acheté mais ramassé par terre comme le dernier livre houellebecquien naguère critiqué par Angelo Rinaldi dans un ridicule papier, a gagné quelques centimètres de hauteur en rejoignant le fond de ma poubelle de bureau. Allez mes amis, gardez le sourire ou, comme le disent les jeunes : LOL pour Laughing Out Loud, je traduis pour les nuls.
Effectivement, il y a de quoi rire…

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13/03/2006

Madrid, 11 mars 2004. Deux ans et deux jours plus tard : tout va bien !

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10/03/2006

Résurrection du cadavre de la littérature : Olivier Larizza et William Marx en médecins légistes

Scott Olson (Getty Images).

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09/03/2006

Deux années passées dans la Zone... et puis ?

Crédits photographiques : Jeff Chiu (Associated Press).

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08/03/2006

Au régal des Vermines ou les poisons inoffensifs de Marc-Édouard Nabe

Crédits photographiques : Ebram Harimurti (AFP/Getty Images).


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05/03/2006

Censure sur Internet : à propos de Louis-Ferdinand Céline, par Marc Laudelout

Crédits photographiques : Rodrigo Abd (Associated Press).

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27/02/2006

La traversée du trou noir, par Alain Santacreu

Photographie de l'auteur, externat Sainte Marie, 1989


Alain Santacreu, directeur de l'excellente revue qu'est Contrelittérature (dont le dernier numéro vient de paraître, superbe), m'a autorisé à reproduire le texte critique (paru dans la seizième livraison de sa revue) qu'il a consacré à mon deuxième essai. Les liens que j'ai ajoutés au texte d'Alain sont bien évidemment de ma seule responsabilité. Après les critiques d'une Axelle Felgine ou d'un Dominique Autié, il me semble que celle d'Alain Santacreu est remarquable en ce sens qu'elle pointe une dimension peu commentée de mon essai : sa volonté de mettre en branle une espèce d'herméneutique qui ne serait pas totalement déconnectée de la réalité et renverrait le démon de la théorie brocardé par Antoine Compagnon dans quelque Thébaïde afin d'y tourmenter l'étique saint Genette. En d'autres mots, j'ai tenté de faire de la réunion en apparence stochastique des textes composant mon essai un modus operandi qui, je l'espère, aura quelque influence souterraine sur ma propre vie, sur celle, donc, de mon lecteur. Faute inavouable ? Orgueil démesuré ? Oui. Et j'ajoute, afin de me condamner définitivement aux yeux des professeurs, que ce livre est nocif pour un lecteur qui ne serait point quelque peu préparé, voir immunisé : contre quoi ? Contre la facilité de toutes les grilles de lecture, ces tamis faussement fins des pensées percluses. Nocif encore non tant comme le livre démoniaque imaginé par Arnaud Bordes parce que mon essai distillerait quelque ferment de corruption mais parce qu'il prétend faire vaciller les vieilles habitudes de lecture et celles, sans doute bien plus sclérosées encore, de la critique, cette salle de dissection où Genette, encore lui, coupe en fines tranches le corps en putréfaction de la littérature française. D'ailleurs, je publierai dans quelques jours, dès mon retour à Paris, un article sur deux livres (signés d'Olivier Larizza et de William Marx) qui de la santé de cette critique littéraire donnent une image... difficile à interpréter.

Voici, pour l'heure, l'article d'Alain Santacreu.

Il est important de surprendre l’angle sous lequel Juan Asensio voudrait que l’on considérât son livre et pour cela on commencera par lire son «avant-propos». Que faut-il entendre par ce titre : La littérature à contre-nuit ? Il y a là toute la méthode de son herméneutique : lire comme on grave, selon la technique baroque dite «à contre-nuit». Le lecteur éclairé, le critique authentique, sera donc graveur à la «manière noire», autre nom de ce procédé qui consiste à noircir entièrement une plaque de cuivre avant de la graver : «J’avance péniblement dans l’extraordinaire complexité des œuvres que j’évoque, grattant patiemment, à mon tour, le noir de la plaque de cuivre pour en faire apparaître quelques traits», dira l’auteur, évoquant cette métaphore de la littérature à contre-nuit (24; les chiffres entre parenthèses renvoient aux pages de l’ouvrage).
Cette pratique de la lecture métaphorise un procédé contraire à celui de la gravure traditionnelle. Dans cette dernière, la pointe opère à la façon du crayon noir sur le papier blanc tandis que, dans la «manière noire», le grattoir produit l’effet d’un crayon blanc sur du papier noir. En filant la métaphore, on pourrait donc considérer l’ouvrage de Juan Asensio comme une plaque de cuivre que le critique-graveur aurait d’abord fendillée jusqu’à obtenir le noir le plus noir, pour approcher ensuite – en relissant au grattoir les lamelles métalliques – le blanc absolu. Les trois chapitres du livre correspondraient ainsi aux stations opératoires d’une herméneutique existentielle.
Le premier chapitre contient un article remarquable, L’état de la parole depuis Joseph de Maistre, écrit initialement pour le Dossier H de Philippe Barthelet (Joseph de Maistre, L’Âge d’Homme, 2005). Asensio y décèle une analogie entre l’incipit des Soirées et celui d’Au cœur des ténèbres, le roman de Joseph Conrad : «À vrai dire, malgré le fait qu’elle n’a jamais été, à ma connaissance, relevée, je n’insisterai pas sur l’évidente similarité des ouvertures qui unit ces deux œuvres, Au cœur des ténèbres et les Soirées : dans l’une comme dans l’autre, un narrateur décrit le paysage fluvial qui sert de décor crépusculaire à une conversation entre amis» (66).
Il existe une très ancienne tradition mystique selon laquelle le nom de Dieu n’est transmissible que sur l’eau; mais il y a aussi les fleuves infernaux où se donne le mot de passe des maudits. Il y a une qualité de l’eau qui fait que la Néva des Soirées est d’une nature différente que la Tamise d’Au cœur des ténèbres – et de quelle nature aussi l’eau de la Seine dans laquelle se suicida Paul Celan ?
On pourrait donc ne pas être totalement convaincu par ces «troublantes similitudes» et considérer que le dieu du fleuve qui ouvre les Soirées n’est pas celui qui mène Au cœur des ténèbres. Ainsi, les premiers mots des Soirées – «Au mois de juillet 1809, à la fin d’une journée des plus chaudes, je remontais la Néva dans une chaloupe [...]» – indiquent la «remontée du courant» des eaux maistriennes vers leur propre source célestielle. Évidemment, le fleuve africain serpentéiforme que Marlowe «remonte», à la recherche de Kurtz, dans Au coeur des ténèbres, est d’une autre eau et l’on pourrait l’assimiler à l’Achéron.
En réalité, cette mise en relation de l’œuvre maistrienne avec Joseph Conrad tient plus, selon nous, au secret intime du critique, aux plissements internes de ses lectures, qu’à une correspondance réelle, véritablement analogique. Il y a chez Juan Asensio une «exaltation» de la lecture au sens où l’entendait Charles du Bos. D’ailleurs, l’auteur lui-même, peut-être pour masquer le fondement subjectif de sa propre analyse, dira malicieusement s’être laissé guider par le «flambeau de l’analogie» soutenu par l’auteur des Soirées.
Cependant, toutes les correspondances entre les choses ne sont pas analogiques, seul le symbole, étant indéfectiblement relié au Principe, ne peut être «contaminé». Or, Asensio semble interpréter le symbole comme une simple figure de style et ne pas percevoir cette dimension solaire du langage qui outrepasse la saisie démoniaque : le diabole ne peut comprendre le symbole. Que le mal ne puisse être dit symboliquement ne lui confère pas plus de réalité car c’est la marque de son propre néant : le contraire de la littérature c’est précisément ce que seul le symbole peut dire.
Nous avons par ailleurs (in Joseph de Maistre «en réserve» de la contrelittérature, Dossier H, op. cit., pp. 847-852), en paraphrasant le célèbre explicit des Considérations sur la France de Joseph de Maistre, essayé de circonscrire les notions de «littérature contraire» et de «contraire de la littérature» – cette dernière étant ce que nous appelons la contrelittérature.
La «littérature contraire» n’est que la mise en demeure du Mal. Giovanni Papini a pu dire que le diable était surtout «l’ennemi des athées», puisque ceux-ci ne peuvent pas commettre le mal volontairement. Cette fine remarque est sans doute le schibboleth de la littérature moderne, si l’on veut bien admettre que l’«esprit philosophique» substitua la littérature au catholicisme pour imposer sa propre autorité.
Le démoniaque s’est alors empressé de procéder à la courbure de l’espace littéraire, faisant de la littérature un trou noir, pour reprendre la métaphore obsédante d’Asensio : «Les oeuvres modernes qui, à mes yeux, explorent le Mal avec le plus de conséquence évoquent puissamment l’image du trou noir, cet astre exotique qui existe en se consumant sans cesse, qui rayonne de la matière même qu’il engloutit comme un ogre» (177).
On sait que les trous noirs stellaires sont considérés comme le stade ultime d’une étoile massive qui, sous l’action de la gravité, s’effondre sur elle-même. Dans la littérature, l’attraction exercée par le Mal tient le rôle de la force gravitationnelle. Cette prégnance du démoniaque, Asensio la retrouvrera non seulement chez des auteurs comme Joseph de Maistre et Joseph Conrad, mais aussi George Steiner, Ernesto Sabato, Georg Trakl, Georges Bernanos, Paul Gadenne ou encore Ernest Hello. Le second chapitre du livre sera ainsi consacré aux «deux figures hantées» d’Ernesto Sabato et Georg Trakl,
L’affrontement au Mal est toujours une Imitation du Christ – «La figure la plus purement opposée aux forces de la Nuit : le Christ», déclarera Juan Asensio (199) – mais les auteurs de la «littérature contraire» ne vont pas jusqu’à la christogénèse : «Sabato, comme l’écrivain sceptique et blasé du cinéaste [Tarkovski], n’a pu ou voulu ouvrir la lourde porte qui ferme la Chambre où rit comme un enfant le miracle» (138).
L’œuvre noire n’est donc pas l’œuvre au noir alchimique, elle n’est pas ouverture à l’œuvre de la Parole, Celle de «Celui qui se nomme Parole» – comme en parle Maistre dans ses Soirées – Celui qui a absolument tort par rapport au monde puisque, selon les mots transparents de Pierre Boutang, il est «l’absolu négation de paraître».
Aussi Asensio peut-il nous avertir que «nous aurions tort de prétendre que la poésie de Trakl nous promet un quelconque éblouissement final, une remontée après la descente aux Enfers» (176). Tout se passe comme si la traversée du trou noir de la «littérature contraire» était un tunnel éternel, une descente infinie. La «zone» de la traversée sera alors idéalisée en tant que littérature : «La littérature est la zone, dimension qui n’obéit pas aux règles banales de la logique, comme l’Écrivain du cinéaste russe se plaît à le rappeler, ni même à celles, certes moins rigoureuses, de la morale : nous sommes ici dans l’espace libre du miracle, dans le temps alleu de la grâce (136)».
La «littérature contraire» retrouve l’absolu littéraire du romantisme. Max Milner et Claude Pichois avaient déjà souligné que le romantisme naissait avec Les Confessions de Rousseau : la littérature du moi est le triomphe du verbeux sur le Verbe.
Même si le démoniaque ouvre le champ de la «littérature contraire», le «contraire de la littérature», c’est la mystique. L’extase des ténèbres ne doit pas être confondue avec l’expérience des gouffres, Asensio en convient lui-même : «La nuit obscure des mystiques, pour ardue qu’elle soit, n’a strictement rien de comparable avec le phénomène auquel je me réfère, c’est-à-dire : la certitude, non seulement que Dieu est absent, mais plus encore qu’Il est oublié, l’évidence qu’Il est inutile» (103).
Bernanos dit quelque part n’avoir «fait de la littérature» que parce qu’il était un raté mystique. La «littérature contraire» survient de ce ratage mystique qui ouvre la faille par où s’insinue le démoniaque. Seuls, peut-être, Bernanos et Hello, grâce à la prière, ont traversé le trou noir et renversé les «Lumières» – en cela, au même titre que Maistre, ils se sont acheminés vers le «contraire de la littérature».
Dans le texte qu’il consacre à L’Invitation chez les Stirl, Asensio s’interroge : «Comment expliquer cette impossibilité de dire Dieu ?» (p.129) La réponse coule de source : «Il n’y a qu’un chemin et c’est l’oraison. Si on vous en indique un autre, on vous trompe», comme le déclare la Mère du Carmel dans son Chemin de Perfection. Il n’y a qu’un chemin et la littérature nous trompe.
Il nous faut donc traverser le trou noir. Après avoir théorisé l’existence des trous noirs, Einstein et Nathan Rosen, un autre physicien, suggérèrent que le puits gravitationnel de certains d’entre eux pouvaient s’ouvrir sur un autre puits symétrique appelé par opposition «fontaine blanche». Le trou noir déboucherait dans la fontaine blanche qui est la Vision face à face : il n’y a pas d’autre chemin vers le Ciel que de s’y plonger.
Le roman Monsieur Ouine de Bernanos apparaît comme l’œuvre paradigmatique de la littérature considérée comme un trou noir : «le roman de l’entrée de l’Occident dans une sphère désorbitée de tout secours divin, où le désespoir même est réduit à une inconsistance verbeuse et ennuyée, au vide du ressassement dont parlait Blanchot» (114).
Dans son dernier roman Bernanos opère la kénose de la littérature. Monsieur Ouine est le roman qui permet de traverser le trou noir de la littérature par l’acte auto-sacrificiel de la littérature même. Dans les autres romans de Bernanos, nous rencontrons une spiritualité de la «réparation». Le saint bernanosien – tel le curé d’Ambricourt du Journal d’un curé de campagne – «prend la place» de son prochain et, par compassion, intercède pour lui. Cette substitution mystique de l’expiation s’établit à partir d’un renoncement à soi-même – le moi étant le «shatan», l’adversaire, celui qui s’accroche et s’ente sur l’être. Avec Monsieur Ouine, on assiste à la translation de la sainteté rédemptrice au roman lui-même qui, se niant en tant que littérature, ouvre la perspective du «contraire de la littérature».
Ainsi l’ouvrage de Juan Asensio débouche, à travers le «suicide littéraire» de Monsieur Ouine, sur l’œuvre d’Ernest Hello qui réalise le retournement herméneutique du passage des «ténèbres au silence», la traversée du trou noir.
Y a-t-il dans le livre de Juan Asensio un point autour duquel on ne puisse plus bavarder, un lieu où la pensée du lecteur cesserait, qui serait ce point du «silence véritable dont l’écoute et la capture vaine fut le but véritable et mystérieux de chacun des livres d’Ernest Hello» ? (98). Ce «point d’Archimède depuis lequel s’élancer» (130) n’est-il qu’une illusion ? Est-il hors du livre, ainsi que dans «ces tableaux maniéristes» – auxquels l’auteur fait allusion dans un beau passage de son livre (163) – «qui s’ouvrent vers le haut» et «dont les personnages ont un doigt levé vers un Ailleurs hors cadre».
La littérature à contre-nuit de Juan Asensio est un ouvrage étrange et captivant. Sa critique déroutante demeure résolument subjective – à un moment, l’auteur n’hésite pas à délaisser son étude pour raconter un de ses rêves intimes; et l’endroit où nous lisons ce rêve n’est peut-être pas anodin puisqu’il correspond à peu près au milieu du livre (139), c’est-à-dire au vortex du trou noir. On devine ainsi chez l’auteur le désir d’expérimenter une herméneutique transformante, de traverser le trou noir pour dire le silence, «chercher pour trouver à quelle profondeur s’opère le transformation de tout son être» (267).

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22/02/2006

Malcolm Lowry, Samuel Taylor Coleridge, David Jones, Thomas De Quincey

Crédits photographiques : Natacha Pisarenko (AP Photo).

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20/02/2006

Pogrom d'Éric Bénier-Bürckel

Photographie (détail) de Juan Asensio.

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19/02/2006

Dosadi de Frank Herbert ou l'enfer du nouveau monde

Crédits photographiques : Rebecca Blackwell (AP).

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15/02/2006

Un texte inédit extrait d'Amnésie de Sarah Vajda

Intifada, photographie de Richard Johnson


Après un texte inédit d'Éric Bénier-Bürckel, je publie dans la Zone des lignes rares, et pour cause : voici la réponse que me fit Sarah Vajda à qui je demandais un passage non publié de son remarquable roman, Amnésie : «[...] sûr que j'en ai un, la matrice du livre, le premier jet, un long poème en prose d'où il naquit et que (ne le dites pas [...] m'a fait oter) avec quelque raison, pléonasme, mais vous ne le détesterez pas – vous seul avez pointé cet angle dantécien ou dantéquien. [...] Vous l'aurez deviné il était placé dans le chapitre Révélation : l'extase de saint Jean de la Croix... la passion d'Avila dans les rues de Saint-Pierre-sur-Garonne.»

C’est arrivé, un point c’est tout. Ici et Maintenant, qui aurait pu tout aussi bien avoir lieu ailleurs, moins au sud, à chaque point cardinal du Pays et sans doute du Continent. Resté là, fixé, tenace, chancre ou mycose. Emplâtre ou galipot n’y faisaient. La ville, le territoire continuaient à noircir, en dépit des efforts des meilleurs. Urbanistes, paysagistes et architectes, tous s’y étaient mis, en vain. Les barres avaient supplanté les maisons tristes en pierre meulière et l’opacité des vies, cédé le pas à la transparence : aux baies-vitrées où les familles se mirent au reflet neigeux du voisinage, aux cités-jardins d’un nouveau genre, piscines au centre et haies taillées à l’entour qui recouvraient le pays, effaçant l’ordonnance d’une République aux ors pâlis. Les quartiers ouvriers avaient fondu au soleil du Capital. Dame Misère avait établi des squats et des taudis où, naguère, des rideaux clairs et des pinsons en cage simulaient la douceur de vivre. De la chose arrivée, de l’acte innommable, le Pays seul se souvenait, quand ses habitants l’avaient oublié. C’était resté, collé à l’air, aux institutions, aux pratiques scientifiques, médicales, universitaires, aux lois, aux vêtements des femmes, à la casquette des Jules. Les hommes avaient beau ne plus porter de feutre, de lunettes d’écailles, de pantalons de tergal ou de popeline, et les femmes avoir oublié le bruit des socques, l’esthétique enfantine des chaussettes repliées, les jupes faites à la maison, les peignes dans les cheveux, on avait beau avoir inversé les slogans, inventé un monde nouveau, lavé les mots à grande eau, retourné la grammaire, la chose s’était faufilée partout, à la ville, à la campagne, dans les sports et les loisirs, dans toutes les couches de la société, du plus jeune au plus vieux. L’advenu suintait, culture non apprise, déjà là, confondue avec l’être et le non-être, visqueuse et riante. Les hommes désormais vivaient suspendus entre ciel et terre, glissant, à la surface des choses, emportés dans un tourbillon douceâtre. Nourris de lait et de sucre, la faim les tenaillait et la pesanteur de la terre les attirait, comme si, dans l’éther et au-dessous des pavés, au lieu de la plage attendue et du pays de Nulle Part, flottaient des armées de fantômes, rampants, volants, incoercibles. Les jeunes gens des trois sexes avaient déchiré leurs pantalons, dénudé, troué et marqué leurs corps. On les reconnaissait à cette habitude qu’ils avaient de s’insurger contre le parti du passé, parlant une langue nouvelle aux accents des confins, un jargon, dont toute identité nationale s’était absentée. La vieille rhétorique, à tue-tête, chantait dans le non-dit, le sous-texte, le palimpseste et l’intertextualité. Sous les habits neufs du pays, la vieille terre grondait, volcan mal éteint, jamais identifié, fuyant comme les spectres à la lueur de l’aube. C’était couleur d’aurore, couleur opérette, lavée à l’eau de source contrôlée. Cela a un beau nom, femme Narsès, ça s’appelle l’Histoire.
De vieux mythes parlaient de crimes impunis, imprescriptibles, d’une déesse H, invisible et inaccessible, néanmoins violentée. L’horreur prenait la tonalité d’un roucoulement de Luis Mariano, le charme désuet d’un clocher paisible et d’une girouette municipale, l’éclat des lambris de Versailles un certain 3 octobre 1789 où une Reine moqua un peuple affamé jusqu’à ce que l’indifférence, vice commun en ce pays, transforme une insurrection en Révolution et un promeneur solitaire en maître de Terreur et par dessus-tout, glaçant le paysage, la pâleur, rose sucre glacé d’une pièce montée apportée jadis en une noce de province dont chacun avait oublié et l’identité des mariés et celle de leurs convives. La fête, dit-on, s’était mal terminée et un bois de bouleaux avait recouvert le merveilleux domaine.
Ça poissait le long des murs, au fil des nuits, le long du temps, figé à l’état de larve, dans le sommeil et dans la veille, dans l’accordéon comme dans le rock, derrière les cris du rap et le sirop des chanteurs à texte ou dans les trémolos des chanteurs à voix. Aucune forme nouvelle ne parvenait à éradiquer une figure maudite, un Hexagone réapparaissant sournoisement sous les pyramides, les ovales et les rectangles, présent dans la pierre des montagnes comme sur le sable des plages, dans la structure des molécules, les diagrammes de l’État, les sourires et les pleurs des gamins. Quoique ceci ne se dévoilât jamais, chacun, confusément, sentait un malaise. Le Pays n’était jamais sorti de table. Chaque aube le trouvait barbouillé. Le gâteau, de si belle apparence, si doux aux lèvres avait tourné – trop de levain sans doute. Au sucre s’était mêlée une substance âcre. Le pays gavé conservait sa nausée. Il fallut bien se rendre à l’évidence : le sucre était poison qui ne s’éliminerait pas. Quatre générations déjà, et les anneaux pyloriques demeuraient impuissants, aigreurs, ballonnements, pets foireux, brûlures, mauvaise humeur chronique, alternance de diarrhées et de constipation. Aucun régime n’y ferait. Ni l’austérité ni l’abondance, ni le jeûne ni la diète ni les repas équilibrés ou les banquets ne dissoudraient ce relent. Toute l’eau des fleuves, tout le jus de la treille ne laverait la bilieuse saveur. La mauvaise graisse et la cellulite survivraient au surf, au roller, au football, au rugby, au jogging, au stretching même, à toutes ces disciplines inventées dans l’unique but de modeler des hommes nouveaux, des corps durs, imperméables aux fantômes. Aucun coach n’en viendrait à bout. Les esprits avaient beau se vider devant des spectacles offerts en masse aux masses, des jeux collectifs où la frivolité le disputait à l’obscénité, ça filtrait, conscience insidieuse et sans nom, repérée par les instituts de statistiques aux chapitres dépression, suicide, conduites d’addiction, repérable sous le masque du spleen déguisé en exaltation du Moi. Les vieilles femmes se coupaient les cheveux à ras, tondues pour un crime imaginaire et les plus jeunes, mâles et femelles confondus, estampillaient leurs corps d’une encre indélébile. Le marquage avait commencé par la cheville, une esquisse de chaîne, viré ensuite à l’allégorique, au décoratif. Des papillons, des oiseaux se faisaient les signes d’une liberté qu’ils ne retrouveraient plus. Les humains de cet étrange pays vivaient comme se meurent en réserve les animaux et les peuples sauvages. Semblant ne manquer de rien, ils manquaient de tout.
Les témoins de la scène initiale avaient presque tous disparus, qu’ils l’aient décrite avec force détails avant de tomber sous les balles au Fort de Montrouge ou au Mont Valérien, évoquant le souvenir des amours chiennes qu’avait entretenu le Pays avec un bel officier silencieux ou qu’ils se soient suicidés, obsédés par un verbe trompeur, soldats perdus d’un royaume au songe millénaire et bientôt aboli. Les autres furent frappés d’amnésie. Le pays se mit à ressembler au château de la belle endormie, version parc de loisirs. L’oubli est frère du sommeil et par-là même de la mort. Aussi les mortels, désormais semblables aux compagnons lotophages du vieil Ulysse, erraient-il sans but, en troupeaux revenus, ignorant, de leur voyage, la nature et le sens. Le mensonge, malgré eux, devint langue maternelle. Aux vastes questionnements, ils opposaient un mot, jouissance. Et ce mot comme le a d’une grenade éclatait dans leurs bouches insolentes de santé, génération fluor, avant qu’ils ne se ceinturent la taille de grenades, dans l’inutile espoir d’annihiler le néant. Se croyant condamnée par la domination de l’économie et de maître Profit, la Jeunesse, horde dominante, ne concevait d’autre alternative à sa douleur que de prendre la vague, s’emplir l’âme de musique, tenter de vivre une fraternité imaginaire avec quelques hors-caste, révoltes immédiatement initiées en modes et toujours pratiquées en bandes. Ces âmes errantes s’autoproclamaient rebelles, usant d’un vieux mot dont le sens leur échappait. Cette classe d’âge, érigée en valeur absolue, se tenait debout des nuits entières dans des champs dévastés, les narines pleines de substances hallucinogènes, à danser et hurler jusqu’à la dissolution complète, totale, absolue du sentiment temporel. De cette espèce, il en venait par milliers qui rollaient dans les rues des grandes villes, entourés de vastes cordons sanitaires, s’évadant dans des camps sans voir d’autres indigènes que des esclaves porteurs de miel et d’hydromel. Au travail comme au repos, le même sentiment d’irréalité triomphait du vif. Du but de l’existence, ils avaient cessé de se fabriquer une idée.
De la guerre qui les avaient opposés si longtemps à un autre peuple, ils ne parlaient jamais. Désormais frères, battant même monnaie, ils se voulaient pour l’éternité retrouvée compagnons d’arme dans une seule et même unité, en attendant de parler une langue commune, Jouvence. En ce jargon, ils paradaient ontologiquement fiers, gays ou lesbiens, végétariens ou végétaliens, carnivores jamais. Parfois ces damnés qui se croyaient élus évoquaient leurs arrières-grands-pères disparus par millions dans une guerre ancienne qu’ils jugeaient inutile. Celle-ci, ils la qualifiaient de Grande, ayant tout oublié de la Petite qui avait suivi. La pressentaient-ils trop laide pour donner naissance à des contes et légendes, trop irréelle pour la pouvoir enfermer même dans un songe ?
Leurs vies et leurs livres se confondaient. L’authenticité de leurs récits devenait le garant de la forme, la marque de l’écrivain, comme elle justifiait leurs existences, occupées du seul souci de soi. En réalité, il s’agissait d’un génocide sans cadavres, exit la Littérature. Fini le temps offert à la reconstruction de l’expérience humaine, évanouie l’aspiration à la transfiguration du réel, foin de l’effort d’inscrire un événement, un récit, un songe ou un instant dans une tradition, et par-là même, adieu la révolte. Les faits parlaient d’eux-mêmes. L’hypocrite lecteur enfin devenu semblable et frère, l’unicité de leurs existences avaient valeur d’universel.
Les pères parlaient à leurs fils en copains et les filles recevaient les confidences des mères. En cette fusion extrême des générations et des catégories, ce qui avait mû leurs aînés était devenu lettre morte, surgissant seulement au détour d’un slogan publicitaire à l’usage d’une firme, d’une banque ou d’un parti politique. Les hommes continuaient à donner le nom de cité à des ensembles vides où des individus arrachaient au néant des instants de glisse, au-dessus des contingences. Ils vivaient en paix, loin de la hache de l’Histoire, l’esprit entièrement occupé des choses à acquérir pour meubler, non seulement leurs demeures, mais ces trous noirs auxquels ils donnaient par habitude le nom d’existence.
Si d’aventure leur béatitude se troublait comme l’eau d’un lac aux abords de l’orage, ils rejoignaient un village sans clocher ni mairie. Certains prétendaient, techniciens habiles, attaquer le cœur même de l’État, mettre en péril l’ordre et la sécurité du monde, en tapant sur la touche shift de merveilleux engins qui, en lieu et place des dieux assassinés et des catégories anciennes, ordonnaient l’incohérence du monde.
L’amour même se faisait sériel en ce temps là, à l’instar du crime, de la musique et de la mathématique. Les femmes achetaient des chaussures en série, couraient les magasins afin d’emplir leurs armoires de vêtements qu’elles ne mettraient jamais. Certaines d’entre elles, dans un geste en tous points similaire, vomissaient immédiatement après avoir mangé. Les habitants du pays ne se contentèrent plus, mâles ou femelles, androgynes ou vieillards, de collectionner les amants : ce furent bientôt les vies qu’ils multiplièrent, changeant d’emploi, de famille, les recomposant à l’infini, dans l’espoir délétère de voir tous ces éclats composer une rhapsodie qui ne naîtrait jamais. L’amertume veillait, dragon d’un autre temps, qui, à leurs oreilles, fredonnait le chant du nevermore et de la vanité.
Les premières rides prenaient, dans ce monde, une importance extrême. Quel moyen, à cinquante ans, quand les corps s’alourdissent, de prendre la grande vague ? Des guérisseurs, souvent, leur offraient de quoi supporter l’épreuve. Parfois, lassés d’avoir bu et mangé des substances caloriquement faibles, ils ouvraient un vieux livre. Leurs yeux et leurs cerveaux saturés par l’amoncellement d’images découvraient d’étranges phonèmes qui avaient cessé de faire sens. Abjection, héroïsme, vertu, beauté, passion… Démagnétisés, les mots vaguaient. Le couteau de la valeur, resté sur la table du banquet, le temps s’était arrêté. La pendule marquait midi – heure de l’acédie – aux clochers des églises, aux frontons des mairies, à la porte des synagogues, des mosquées et des temples, charity, shoa business, souillure post-coloniale, à laver comme Jésus les plaies des Lépreux. Confusion générale : la mathématique quantique avait même annulé le «Je sais que 2 et 2 font 4» de Don Juan. Le visage humain ne se conformait plus au modèle ancien. Amaigri, pommettes saillantes, blanchi outrageusement, yeux noircis, gothic style, il renvoyait à l’image des larves, des gargouilles. Obèses ou anorexiques, les humains avaient à cœur de narguer toute règle.
C’était vraiment une époque formidable, grouillante de révolutionnaires et d’homme libres qui chérissaient la mer, le soleil, la plage et qui, sans discontinuer, Incroyables de Centre Commercial et Merveilleuses de banlieue, entonnaient La Ballade des gens heureux dans l’air vicié. Les queers n’étaient désormais plus les seuls à modeler leurs corps. Les poubelles se remplissaient de déchets humains, de boules de graisse superflue, de fragments de seins et de nez jugés trop longs ou trop gros. En lieu et place des lèvres, des mollets, des seins encore, du silicone. La nature, mère ou sœur de l’Histoire, s’était réfugiée dans des posters figurant des îles désertes, des îles préhistoriques. Il semblait que, pour paraître homme, il fallût, en ce temps-là, se déshumaniser. Le diktat de la mode, de la minceur, la tentative aboutie de ne plus rien conserver du monde ancien, sauf à titre dérisoire d’indices du passé, entretenait un lien encore invisible avec ce nuage rose plus terrible que celui d’Hiroshima tombé sur le Pays, un matin de 1945. Amnésie : Je est un autre, Je ferai de vos deuils des fêtes, cours Camarade, le vieux monde est derrière toi. Pourtant, c’était là se déplaçant à la vitesse des métastases dans la chaîne nucléique, acide qui grignotait les cerveaux, aussi présent que le bleu de la robe de Marie dans le miel des discours humanitaires, trace jamais résorbée de martyrs chantant dans l’incendie de Rome.
Certains mortels ne souffraient plus cette singulière non-vie dans un monde de zombies qui, un certain 11 septembre, se mirent à genoux. On les vit qui remerciaient le Ciel, la Providence, le Destin, Allah ou l’Antéchrist, qu’importe, d’avoir à ce monde apporté le détergent capable d’effacer le cauchemar climatisé qui leur avait tenu lieu de maison paternelle.
Ainsi, une amnésie chassant l’autre, l’espérance d’un monde nouveau leur fit rêver que les zombies chassés, ils retrouveraient un monde conforme à des rêves plus humains. L’espérance des lendemains qui chantent ne les quittait pas, ils croyaient, comme des générations avant eux, à l’efficace de la tabula rasa, ignorant qu’après eux, dans un monde, une nouvelle fois dévasté, d’autres jeunes gens, à leur tour, reprendrait le couplet : c’est arrivé, un point c’est tout.

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10/02/2006

Toutes sortes de secrets moins l'essentiel : sur Jacquemond, Boutang, Bloy et Massignon

Crédits photographiques : David Millard.

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08/02/2006

Géographie mentale de la Shoah, par Jean-Luc Evard

Crédits photographiques : Gaston Brito (Reuters).

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07/02/2006

Munich de Steven Spielberg : videmus nunc per speculum ?



Certes, dans ce film facile à bien trop d'égards, beaucoup d'images sont d'une évidente banalité dont cette scène finale, proprement ridicule, d'orgasme israélo-palestinien : du sperme, de la bave et du sang, mélangés de la plus maladroite façon. Une autre image de Munich peut sembler tout aussi facile, si on n'y prend garde : juste avant que n'apparaisse son étrange informateur français, Louis, Avner, le chef du groupe chargé de liquider, l'un après l'autre, les commanditaires et exécutants de l'attentat anti-israélien de Munich en 1972, se tient devant une vitrine de magasin qui lui renvoie son reflet et contemple, l'air stupide, une splendide cuisine, clinquante et sans doute hors de prix, comme Louis, amateur d'arts exquis, le lui fait d'ailleurs ironiquement remarquer. N'y a-t-il rien d'autre ? Quel élément passé inaperçu légitime cette curieuse scène et lui confère, peut-être, une aura trouble, lui évitant de tomber, une fois de plus, dans l'ornière de la facilité confondante (sans compter une foule de détails incongrus peu dignes de l'attention d'un réalisateur de téléfilms ouralo-altaïques) dans laquelle avait déjà sombré La guerre des mondes ? Oui, il y a tout de même autre chose dans cette scène sans intérêt. Les spectateurs attentifs auront noté que l'air absent d'Avner s'explique par le fait que, désormais, ses mains de plus en plus couvertes de sang arabe et alors même qu'il est devenu le père d'une petite fille, il songe à l'un de ses hommes, Robert l'artificier, mort : le visage de son ami apparaît sur la vitre qu'Avner fixe, à l'endroit même où le visage de Louis va effacer, trait pour trait, le visage souriant du disparu, qu'Avner d'ailleurs aura tenté de saisir de sa main avant qu'il ne s'évanouisse. Méthodiquement, fidèle en tout cas à son extrême prudence, l'informateur exceptionnel qu'est Louis effacera la trace laissée par la main d'Avner sur la vitrine du magasin. Est-ce là tout ce que nous aurions dû voir ? Non, il reste encore un élément, je le concède bien discret, peut-être même exagéré par le souvenir que j'en garde : devant la vitrine illuminée de ce magasin vendant des cuisines haut de gamme, Avner, perdu dans ses sombres pensées, paraît basculer d'avant en arrière, comme s'il esquissait, dans une espèce d'insomnie diabolique, l'attitude bien connue des Juifs en prière devant le Mur des Lamentations.
C'est peut-être là l'image la plus troublante de Munich, la seule qu'il convienne de retenir avant qu'elle ne s'efface, charriée par le flot de toutes ces autres images sans intérêt, ce basculement devant une vitrine ne renvoyant rien de plus que le reflet du visage enfiévré du tueur et le séparant d'un saint des saints frelaté, de pacotille, sans autre réelle présence, sans autre possibilité de transcendance que celle d'une cuisine, fût-elle flambant neuve et, certes, hors de prix. Et puis, aussi, Munich ayant plutôt dû s'appeler, à mon goût, Avner, c'est assez payer tous ces morts de Juifs et d'Arabes (ainsi que d'une magnifique Hollandaise) que la conscience d'un homme hantée par les innombrables fantômes des liquidés, ne croyant plus de surcroît que le sang versé l'a été pour la survie d'Israël, tueur errant de ville en ville et incapable de dormir, devenu aussi apatride que les terroristes palestiniens qu'il a pourchassés, éliminés, et qui ne cessent pourtant de renaître sous ses yeux.

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04/02/2006

Allahou Akbar



«Une démocratie ne saurait instaurer une police de l'opinion, sauf à fouler aux pieds les droits de l'homme.»
Le Monde, éditorial du 2 février 2006.


Dieu est grand bien sûr, et la Presse est toute petite, qui tente pourtant de Lui ravir sa place, qui prétend Le chasser du Saint des saints et, abomination de la désolation de la Parole, se repaître des sacrifices immolés à l'Idole. Regardez quel dédain à l'égard des croyants, de toute personne même qui, incroyante, respecterait tout de même le sacré, regardez quel extraordinaire mépris ces chiens hirsutes (qui de la religion ne croquent le plus souvent rien de plus que quelques clichés aussi jaunis que les dents de l'increvable pourriture Voltaire à la mamelle sèche duquel s'abreuvent une multitude de petits Onfray), témoignent à celles et ceux qui prient Le Dieu pour ensuite, ô scandale inadmissible, s'étonner que les fidèles les plus rigoristes profèrent à leur égard des menaces de mort à peine voilées, c'est le cas de le dire. Certes, il est bien vrai que les hyènes de la Presse n'étaient guère habituées, jusqu'alors, à une quelconque réaction venant des catholiques, sinon de pure forme, se limitant bien souvent à une bulle fulminée par le vieillard irascible depuis longtemps claquemuré dans l'in-pace de sa maladie ou, à défaut, telle lettre sentant bon l'encens épiscopal, de facto jugée inoffensive par le Tribunal révolutionnaire de la sempiternelle répétition, cette Presse qui ne peut ni admettre ni surtout comprendre l'intrusion d'une parole souveraine. Dans ces conditions humides, où les champignons de la libre pensée, de la tolérance de droit divin, du devoir intangible de la Presse à se répandre, poussaient d'un bel élan consensuel vers le soleil blafard du lieu commun, il était de bon ton de moquer les catholiques (souvent, aussi, tout chrétien), le Christ fait Homme, son Père et bien évidemment, sa représentante visible, qui il est vrai a perdu de sa superbe depuis quelques siècles au moins, se contentant de nos jours de vanter les vertus de la séparation entre les pouvoirs temporel et religieux. L'Église pouvait ainsi se déclarer profondément choquée par telle campagne de presse (il y a quelques années déjà, l'affiche du film Amen de Costa-Gavras) où ses ouailles étaient tirées comme des lapins, levées comme des palombes; elle pouvait encore témoigner du désarroi de ses millions de fidèles face aux caricatures les plus grossières, rien à faire : le Veau gras de la Presse se déclarait lui-même scandalisé qu'on ose se scandaliser et, de la sorte, qu'on tente de limiter sa prescience miraculeuse, sa ravageuse alacrité, sa mordante ironie à l'égard de tout dogme, aussi impénétrable, aussi suspect à ses yeux que le sens d'une destinée mystique de saint.
L'affaire était donc vite conclue même si, bien rarement, de belles voix dénonçant courageusement l'odieux chantage forçaient les dos de quelques fidèles précautionneusement prosternés devant l'Idole à se redresser et obligeaient même le veau d'or à se regarder dans une glace à sa toute petite mesure. Qu'y voyait-il, dans ce reflet, l'espace d'une trop courte seconde ? Certes pas un animal sauvage, noble, libre. La Presse est une hyène et, adoptant avec un mimétisme assez remarquable les coutumes de cette espèce charognarde, impudique et veule, sait parfaitement qu'il serait mortel, pour elle, d'attaquer un tigre autrement que mourant, crevant de ne plus pouvoir bondir dans l'immensité, de zébrer l'espace de sa signature divine. La Presse a grossi dans le cadavre deux fois crevé de la France et de l'Église. La Presse, pour naître et grandir indéfiniment, a dû se nourrir de la carne putrescente de ces deux charognes.


Charogne de la France devant sans cesse se battre la coulpe et proférer, contre le risque d'être déclarée relapse, de pénibles amendements à sa propre histoire, ni bonne ni mauvaise, mais tout simplement grande, et petite lorsque elle a systématiquement voulu se renier, s'excuser, s'abaisser, cracher sur elle-même bref, faire amende honorable qui la mena tout droit au déshonneur, et à la sortie de l'Histoire aussi. Charogne de l'Église que la Presse, cette communauté invisible annonçant la bonne parole de l'opinion universelle, promettant le paradis de la conscience vide à ses milliards de fidèles communiant dans une sainte jouissance du fait divers, a réduit à n'être plus que la portion congrue, l'os qu'elle n'a de cesse de ronger où s'accrochent encore quelques lambeaux de liberté de culte, tout juste tolérée malgré les vertueuses professions de bonne foi des oulémas de la plus stricte obédience. La Presse, étant une hyène, ne saurait tout de même ne point s'abaisser à lécher sans relâche le corps immense en décomposition, abandonné de tous, surtout de ses sœurs protestante, orthodoxe et anglicane mais il lui faut encore, pour excuser ses amours décomposées, que chaque chrétien admette avec candeur que sa croyance ne peut qu'être embastillée dans la sphère étroite de la vie privée. Alors, réjouie, la hyène peut reprendre sans le plus petit scrupule sa patiente dévoration, et se contenter de sucer l'os plutôt que de vouloir le broyer.
Comme il est amusant, aussi, de voir que la carcasse de la France ne cesse de trembler devant le tigre de l'Islam, qui s'en est déjà repu et flaire de plus nobles conquêtes, et ce quels que soient les sursauts nous faisant croire, peut-être, au fait que le cadavre bouge encore. Comme il est drôle de constater, encore, que le cadavre de l'Église, habilement, cherche à ne point salir la robe altière du tigre, fût-ce d'un de ses crachats de puceron : l'heure, mesdames et messieurs, est à l'œcuménisme et quiconque affirmera le contraire méritera de finir sur le trébuchet de l'inquisition publique, puisque l'Église n'a plus le pouvoir d'exécuter elle-même ses décrets. En somme, elle, cette Église, autrefois grande comme la France, grande parce que la France, entre autres intersignes d'honneur, avait été désignée pour l'accomplissement d'une mission, demeurait sa fille aînée et était elle-même grande, en somme cette Église rend son propre cadavre présentable pour attirer le Prince messianique qui, d'un baiser ô combien douloureux, lui rendra peut-être la vie, la jeunesse, la grandeur de son scandale : Dieu fait Homme, ce que nul n'a osé proclamer avant ou après Elle, ce que nul n'osera plus faire dans les siècles des siècles.


Ainsi le tigre est revenu, il s'est réveillé de siècles d'assoupissement, comme s'il était l'un de ces sept dormants mystiques qui doivent se lever au Jour du Jugement. Et le tigre cherche maintenant, selon l'ancienne prédiction de l'apôtre, qui dévorer, ses adversaires de longue date bien sûr, les Juifs, mais aussi ses placides brebis, parquées dans le parc européen, qu'il contribue à engraisser en les gavant de manne pétrolière. Et bientôt, n'en doutons pas, ce sera au tour de l'Occident tout entier d'être dévoré, à moins qu'il ne soit vassalisé comme, ici ou là, le prétendent quelques romanciers et écrivains immédiatement taxés de folie et à leur tour parqués, cette fois dans l'horreur du camp de concentration réactionnaire diligemment ouvert pour eux par la Presse. Et puis enfin, annonçant le Silence dernier, ce sera au tour de la hyène d'être mangée, cette Presse qui, avant de se coucher puis d'écarter les cuisses dans une évidente parade de séduction censée la protéger des morsures du félin, hurle qu'elle est serve, c'est-à-dire qu'elle est libre, libre de reprocher au tigre sa force, libre de lui dicter sa conduite et de décider quel sera l'empan de ses bonds, la taille de ses crocs, la note, au crépuscule, de ses terribles feulements, la couleur même de ses déjections. La force se soucie-t-elle de comptabiliser les dégâts qu'elle fait ? Non bien sûr puisque la force n'a nulle nécessité de légitimer son action, qu'elle soit désacralisée et alors les milliers de figures dolentes rejoignent sans un mot de plainte (ou presque) le bord du charnier communiste où elles vont être jetées dans quelques instants ou qu'elle soit religieuse, et qu'elle tente ainsi de justifier l'horreur de ses guerres saintes qui se passent de raisons mais creusent toujours le puits sans fond de la légitimité. Le faible quête toujours la légitimité qu'il n'a pas, convoquant les arcanes de la Tradition et sondant les puits, souvent peu profonds et nauséabonds, du Sacré. Le fort, lui, se revêt de cette légitimité comme d'un manteau impérial dont il ne se dépouillera qu'au moment, tragique, où il s'avisera d'en définir les pouvoirs mystérieux, d'en repriser le tissu impalpable. La force détruit et c'est bien là tout ce que nous sommes en droit de constater, sans pouvoir le lui reprocher. Le faible, lui, qui inverse la triple prière du père de tous les croyants, Abraham, et la transforme en un ignoble marchandage où caquettent les dupes, la hyène n'hésite pas à demander au tigre de se rendormir, afin d'abord que le fort ne dévore point les brebis qui ont été mises là de toute éternité par Dieu pour nourrir son animal roi et flatter la méchanceté du faible, afin ensuite que le tigre ne prétende point tout de même se repaître de la propre graisse suintante de mots profanés que ricane la hyène, enfin pour qu'il ne soit pas trop violent avec le cadavre de la France, celui de l'Église ayant été depuis longtemps jeté sans ménagement dans la fosse commune, et oublié.


Le tigre dévorera bien sûr les brebis et, s'il n'a pas assez de force pour jeter à terre l'immense Idole à mufle porcin, espérons au moins qu'il ne se gênera pas pour la transformer en ridicule borne compissée. Reste à savoir si le lion, évidemment de Juda, acceptera que l'Islam prétende l'asservir et le détruire, s'il acceptera que le tigre veuille conquérir son territoire de déserts et de rares sources qu'il a gardé durant des millénaires d'une veille inquiète, jamais relâchée, l'ardeur et la patience demeurant cachées au plus profond du cœur des Juifs. Reste à savoir si nous saurons, nous, chrétiens s'il en demeure, et, eux, vous, musulmans, s'il en demeure n'étant point fascinés par la violence du guerrier et la drogue des assassins, faire nôtre la prière de Louis Massignon (intitulée : Pour une paix sereine entre chrétiens et musulmans dans Parole donnée) que voici : «Ce n'est que dans l'honneur partagé, avec un «pain licite», des camarades de travail, qu'ils [Massignon évoque les «ultras» français et musulmans] trouveront la parole de vérité, libératrice.» Reste à savoir surtout si le tigre, lui aussi flatté par les prestiges faciles de l'Occident et que ce dernier prétend «intégrer» à son propre corps pourri, «assimiler» c'est-à-dire dissoudre dans sa mélasse tiède, trouvera assez de force pour se garder de toute compromission avec la horde innombrable des hyènes, leur puanteur inaliénable, partagée comme un étrange schiboleth par chacun des membres de la confrérie jamais silencieuse, ricanant dans le désert, foulant de ses pattes toute trace sainte des dieux enfuis, du Dieu introuvable. Je ne suis pas certain en effet que la fierté qu'évoque Massignon dans un autre de ses textes, sublime (Les trois prières d'Abraham père de tous les croyants), soit encore bien longtemps de quelque contenance face à la morsure de l'acide de la médiocrité, distillé à l'occidentale, c'est-à-dire sans que nous nous en rendions compte, sans que nous comprenions que le poison envahit lentement notre sang, tôt ou tard vicié. La saignée prochaine, qui ne peut que nous être prescrite par le savant docteur qu'a toujours été l'Islam, cette saignée indispensable nous videra, nous tuera et, peut-être, nous régénèrera si nous ne sommes pas dès à présent invinciblement pourris.


Aujourd'hui, l'Islam crève du cancer de l'Occident, qui s'attaque ainsi au dernier organe encore relativement sain de l'Orient (à moins, je l'ai dit, qu'il n'y ait là qu'apparence de santé et que le mal, désormais, soit irréparable), puisqu'il ne peut plus rien consommer de son propre cadavre, que même les hyènes hésitent désormais à venir renifler. Massignon donc, l'amoureux de l'Islam, désignant pourtant, contre nos petits docteurs gentiment optimistes, gentiment lettrés, gentiment béats : «Pour l'Islam, toute paix en ce monde est bâtarde, qui n'est pas fondée sur la reconnaissance du Dieu d'Abraham. Et même avec les Chrétiens et les Juifs, qu'ils tolèrent, les Musulmans n'envisagent d'accord que sous forme de menace d'ordalie, de «capitulation» vassalisante, abandonnant d'ailleurs dédaigneusement à ces deux groupes tout ce qui, dans la vie économique joue idolâtriquement sur les «faits de Dieu», assurances maritimes, taxes indirectes, commerce des métaux précieux et usure, bourses. Le Musulman ne veut pas de ces avantages, suspects à ses yeux autant que les privilèges religieux dont ces deux groupes se targuent.» Je crois au contraire que le Musulman moyen, tout comme le Chrétien moyen, s'il n'y a pas là quelque évident pléonasme, veut ces assurances, ces taxes et les métaux précieux, et l'usure, et le profit invisible de la Bourse, et les putains superbes stériles car engrossées par l'argent facile. Si l'Islam obtempère, si le tigre somptueux et implacable se laisse dresser comme un caniche de cirque, si la hyène triomphe de la bête indomptable, alors la Chrétienté, elle aussi, faute de cet intercesseur caché, maintenant révélé sous son terrible éclat de violence qui, pour elle, signifie la mort et la renaissance, alors la Chrétienté disparaîtra sans même que soit conservé son pieux souvenir, si ce n'est par quelque fulgurant et mélancolique Hallâj futur.

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01/02/2006

Le Maljournalisme auto-amplificateur : Le grand bazar de l'info d'Yves Agnès, par Jean-Pierre Tailleur

Crédits photographiques : Jason Lee (Reuters).

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31/01/2006

Inactualité essentielle de Karl Kraus

Crédits photographiques : Adam Hunger (Reuters).

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28/01/2006

Pas à pas dans Outrepas de Renaud Camus

Crédits photographiques : Jeremy Portje (Telegraph Herald via Associated Press).

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27/01/2006

Contre Gilles Grelet, Théorie-rébellion. Un ultimatum, par Francis Moury

Justin Sullivan (Getty Images).

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25/01/2006

Le démonologue et sa fourmilière : le Formicarius de Jean Nider

Crédits photographiques : Dr. Havi Sarfaty.

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