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26/04/2006

Strix Americanis chasse dans la Zone... en vol serré

REUTERS:Jon Nazca.jpg

Crédits photographiques : Asmaa Waguih (Reuters).

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24/04/2006

V for Vendetta or B for Blablabla ?

Crédits photographiques : David Bitton (Appeal-Democrat via Associated Press).

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22/04/2006

Ici et là-bas, toujours, le diable

Crédits photographiques : Jessica D. Schiffman et Caroline L. Schauer (Drexel University).

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18/04/2006

La cinquième tête de Cerbère de Gene Wolfe

Crédits photographiques : Jorge Silva (Reuters).

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15/04/2006

Netizen n°3 : portrait du blogueur en blorpion

Phtirius pubis, communément appelé pou du pubis ou morpion, responsable de la pédiculose pubienne ou phtiriase


Ayant pointé, dans un bien trop long billet consacré à pareille revue, mes principales critiques à l’endroit de Netizen, il ne s’agira, avec ce nouveau et (finalement peu) court texte, de rien de plus je l’espère que d’une piqûre de rappel. Particularité de mon vaccin : il veut achever la bête idiote plutôt qu’en tenter la guérison. Netizen, en effet, est à piquer, comme s’il s’agissait d’un vieux chien qui, afin de vous amadouer et de vous arracher une dernière caresse, tenterait de remuer sa queue et de faire le beau alors que, depuis des lustres, le pauvre animal n’a plus même la force de se tenir debout. Autant le dire d’entrée : Netizen ne se tient pas droit et se tiendra d’ailleurs de moins en moins droit si j’en juge par les trop rares publicités (Europe 1, Arte, Nokia sans trop le dire, les éditions M2; bref, rien de bien affriolant…) qui financent ces pages. Et je ne suis même pas certain que ces sociétés aient réellement apporté leur soutien pécuniaire à Netizen : peut-être ne s’agit-il là que de bons procédés, d’appels puis de renvois d’ascenseur. Après les premières fissures constatées sur la jolie petite niche du caniche pas même savant, l’avachissement approche, bientôt la paralysie. Le ridicule, lui, dépassant de plusieurs années-lumière le sevranisme le plus abouti, est depuis trop longtemps une marque de fabrique pour que je le stigmatise, surtout chez celui, Christophe Ginisty, qui fut l'âme ouvrière, si je puis dire, du projet
Netizen donc. Je passe une fois de plus sur la pertinence du dossier de ce troisième numéro, cette fois consacré aux interactions (prétendument) complexes unissant la télévision et le monde des blogs. Encore que, la présence de Gilles Klein, bien honnête professionnel, ainsi que l’orientation presque uniquement technique de ces pages nous évitent quelques-uns des sirupeux bons sentiments qui poissaient les deux premiers numéros. Je l’ai dit et le répète : les seules pages de quelque intérêt de Netizen sont finalement celles qui évitent les enfilades de truismes si chères au rédacteur en chef de la revue, le voltairien (ce n’est point une insulte sous sa plume… Voilà qui est bien étrange tout de même…) et gentil citoyen de la Toile Cyril Fiévet. Au moins, lorsqu’il n’écrit pas, cette revue trouve à peu près une utilité, qui n’est cependant rien de plus que purement informative. C'est déjà bien cher payer des informations qu'une multitude de blogs, spécialisés dans ces questions, nous offrent gratuitement et avec une célérité qu'aucune revue, cela va de soi, ne saurait dépasser.
Gageons que le quatrième numéro, désormais bimestriel, saura nous proposer de stimulants textes sur la téléphonie mobile et les blogs, la délocalisation en Birmanie des chaînes de fabrication des fers à repasser ou, pourquoi pas, puisqu’il faut bien flatter le lectorat (ce mot étant tout de même proche d’un autre : électorat), sur les nouvelles techniques de fist-fucking expérimentées dans la poétique zone pédéblogosphérique, puisque c’est son nom officiel. Justement, cette digression me permettra de pointer une tare endémique propre à cette revue et, on s’en doutait, à l’ensemble de ces torchons (comme Technikart, jadis dûment punaisé) qui se veulent le réceptacle de la modernité la plus radicale et qui ne font rien d’autre que tout mélanger : ce cancer est celui de l’éclatement, à la fois matérialisé dans l’affreuse et criarde mise en page de Netizen comme dans les allusions plus ou moins fines contenues dans les pages de la revue. S’il y a donc des pédéblogueurs, c’est à coup sûr qu’existent de méchants pédoblogueurs, des saphoblogueuses libérées de leur tragique sujétion au patriarcat, de discrets cleptoblogueurs, d'évanescents oniroblogueurs, de savants astroblogueurs, voire de malodorants copropblogueurs, ces derniers, je précise à l’attention des lecteurs habituels (s’il y en a) de Netizen, se nourrissant de matière en putréfaction (j’y songe : une telle définition me conviendrait finalement assez bien puisque la Zone brasse et tente hélas de décanter des étangs de merde). L’analyse de cette fragmentation affirmant au contraire que cette diversité de surface n’est qu’une apparence trompeuse et le saint Graal de ces abrutis incapables de bosser solitairement, donc d'imprégner la Toile de leur complxe personnalité, cette analyse n’existe tout simplement pas.
Ainsi, je ne crains pas de le dire ou plutôt de le répéter : la première réalité susceptible de frapper un esprit quelque peu familiarisé avec les us et coutumes de la Toile, ce n’est pas tant son extrême diversité que sa très profonde banalité. Hormis quelques blogs d’un réel intérêt, et ce quel que soit leur domaine d’élection (je le précise à toutes fins utiles), il faut clamer cette évidence que Fiévet fait mine d’ignorer : sur la Toile, tout le monde bavarde et bien peu parlent réellement. Pour ce qui est d’écrire, mieux vaut s’armer d’un optimisme à toute épreuve car alors la Toile, d’ordinaire une ruche en activité permanente, devient aussi luxuriante que la surface arasée de Vénus, l’extrême chaleur qui y règne en moins. Cet éparpillement, nous dit Fiévet, se veut ludique et surtout, le sésame-ouvre-toi de la sottise est magiquement prononcé, citoyen. Aucune porte ne s’ouvre ? Bien sûr, car il n’y en a pas qu'une seule à vrai dire mais plutôt une multitude qui claquemurent d'innombrables nichettes où chaque imbécile bavard s’enferme dans sa solitude virtuelle mais, nous voici rassurés sur son équilibre mental, participative.
Moi, Rémi Barra dit Palpitt, je n’ai strictement rien à dire mais je m’étonne de tout : je ramasse une crotte dans la rue, la renifle et, suprême arôme, je crois y flairer quelque fragrance divine. En langage tout grondant de palpitations, cela donne : «Ce qui m’a frappé au fil des jours, c’est donc d’une part cette formidable propension du blog à créer, modeler, commenter et, le plus important, à devenir acteur de l’actualité (notez la force de conviction soutenue par cette allitération en dentales). D’autre part, c’est ce potentiel à déclencher un véritable incendie d’opinion» qui, vous l’avez deviné, tant ce charabia rédigé en sous-français est convenu, «peut être considéré comme une tentative de contre-pouvoir lorsqu’il renverse un certain ordre hiérarchique». Ne soyez point trop rigoureux avec le pauvre Rémi, dit Palpitt, par exemple en lui reprochant sa langue cancérisée, son écriture vide plus que palpitante, la maigre invention d'une langue sloganisée jusqu'à son trognon. Car il nous livre tout de même un grand secret : un «contre-pouvoir», apprenons-nous ainsi avec émotion, «renverse un certain ordre hiérarchique». Lequel ? Le bon Rémi ne nous le dit pas, fatigué sans doute de l’effort de concentration exigé pour aligner ces phrases d’une absolue banalité, dignes d’un manchot phocomèle. Au risque de provoquer, chez mes lecteurs, un infarctus, je me dois de poursuivre, en faisant remarquer que Palpitt est qualifié de «métablogueur». Mais il n’a rien dit pourtant ? Il ne nous a rien appris ? Par quel miracle de fausse parole Frédéric François, directeur de publication de Netizen qui, se réjouit-on de l'apprendre, jouit tout de même d'une très solide formation de... philosophie (cela se voit, il connaît Novalis), a-t-il cru bon d'accoler à notre nanoblogueur le préfixe méta qui, si je ne m'abuse, signifie une activité ou une catégorie subsumantes ? Sans doute s'agit-il d'un souvenir d'Aristote, me répondra l'heureux licencié de philosophie. Où donc Cyril Fiévet a-t-il cru déceler une quelconque activité intellectuelle chez cet infrablogueur ? Demandez-le lui, à l'occasion, la réponse témoignera au moins d'un invincible optimisme scientifique, à moins que notre voltairien rédacteur en chef n'ait su inventer quelque géniale machine capable de détecter l'activité cérébrale du quark.
Voici donc désignées par l’exemple de cet imbécile les deux colonnes portantes de l’édifice virtuel de la taille d'un chenil : d’une part, pour reprendre la seule tournure un peu complexe de Barra, l’essentiel est de n’avoir strictement rien à dire mais de le dire justement, et de le dire haut et fort. Comment ? En le disant, voilà tout, ce qui donne ces phrases de sémantisme à peu près vide et de sens lui-même proche du zéro absolu. De l’autre, un crétin aphone étant tout de même une pauvre chose minuscule, y compris aux yeux d'un crétin aphone, mieux vaut, pour abattre l’ordre établi (lequel, encore une fois, c’est ce que nous ne saurons jamais; nous ne saurons jamais également quels sont les redoutables adversaires de ce prof blogueur dénonçant «les dérives éthiques ou politiques qui affectent notre société» !), il s’agit tout de même de trouver quelque absence de voix auprès de plusieurs autres nains tout aussi ignares, aphones et, dans le même temps, bavards, afin, non pas de faire silence, mais simplement de couvrir le bruit que font les autres imbéciles entourant et relayant notre crétin initial. Si la termitière se distingue par son impeccable organisation communiste (la présence d’une reine doit être considérée comme une survivance réactionnaire d’un temps heureusement aboli), la termitière virtuelle, la termituelle est, elle, organisée en autant de microscopiques cabanons où chaque fou se fait un devoir de beugler sa folie afin de l’étendre à son voisin. Si la contagion ne se produit pas, la termite virtuelle n’hésitera pas à saper les murs capitonnés de son voisin de cellule pour venir, dans ses propres commentaire, combien saine est la condition de fou virtuel.
L’éparpillement plutôt que la diversité, l’éclatement plutôt qu’une originalité réellement ouverte, donc forcée de se restreindre ou de filtrer, c’est-à-dire de réfléchir (et notre pauvre Palpitt ainsi que tous ses clones sont bien loin de pouvoir s’offrir pareille dépense neuronale en faisant l’acquisition, même bradée, de tel organe qui je le rappelle, à la différence du cœur, ne peut pour le moment se greffer), ce sont bien là, je le disais, les mamelles nourricières que sucent ces journalistes de bas étiage et tous ces nains qui, comme Natacha Quester-Séméon, ne jurent que par la seule vertu du «travail collaboratif» chargé d’ériger une tour de Babel participative, d’édifier les contreforts d’une «communauté virtuelle [forcément] humaniste», afin de faire fusionner le «réseau» avec le «réel», le «global» avec le «local» pour que soient consommées les noces blanches de la «technologie et [de] l’humain». Inutile de préciser que le manchot empereur rédactionnel qui assiste, impuissant, à la progressive fragmentation de son petit coin de banquise précédemment ravagé par un microscopique tsunami (voir le lien plus haut), sentant tout de même le danger venir en la personne désagréable de quelques créanciers aux solides dents de... morse, s'est empressé de préciser, dans son éditorial, que la blogosphère n'était pas uniquement, et de loin, le seul intérêt de Netizen. Autant nous le dire plus franchement que cela : pour survivre, cette revue va devoir de toute urgence diversifier (le mot est à la mode) ses thématiques et intérêts, élargir, voire redéfinir son core business (cette expression tout autant, hélas), les blogs gratuits n'étant décidément pas suffisamment rentables, surtout pour une revue payante. Fichus blogueurs tout de même, qui rechignent à acheter une revue qui leur apprend, dès son troisième numéro, qu'elle ne va tout de même pas se consacrer à eux, les ingrats qui manquent à l'appel, et ce à fonds perdus, les finances se creusant étant ma foi un bon motif de cesser toute dangereuse philanthropie, laquelle d'ailleurs n'est pas vraiment la tasse de thé, ils le répètent assez, de nos audacieux entrepreneurs.
J'en ai fini avec Netizen, déjà troisième du nom et, je l'espère, anté-pénultième de sa série depuis sa conception porteur d'un gène récessif : la bêtise contente d'elle-même, l'étalage de fadaises maigrement asaisonnées des insipides épices d'une langue à la bien-pensance de degré zéro.
Avant de terminer ces quelques lignes, je ne puis que saluer la seule mais néanmoins réelle contribution de Cyril Fiévet à la vitalité de la langue française : il est l'inventeur de ce mot, blorpion, mêlant la caste honteuse des anoploures et celle, au contraire jamais avare de publicité, des blogueurs, utilisé dans mon titre et dont Netizen, au gré de chacun de ses numéros, a finalement décidé d'encourager l'immonde prolifération.
Nul ne pourra dire que la Zone n'accomplit pas son devoir de prophylaxie citoyenne puisque je n'hésite pas à reproduire telle annonce trouvée au cours de mes recherches consacrées au dérangeant pou du pubis : j'y ai ainsi appris qu'en France une lotion (Spray-Pax) est utilement indiquée dans la phtiriase (ou pédiculose du pubis). Son application doit atteindre l’ensemble des zones pileuses du tronc et des cuisses; un rasage des poils peut être utile en cas de lentes (les œufs du pou) abondantes.
Finalement, pour éviter la gangrène de la parole sale ou bavardage, il suffit simplement de se laver.

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14/04/2006

L’Ensorcelée de Jules Barbey d’Aurevilly, par Germain Souchet

Tsering Topgyal (AP).

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12/04/2006

Le Chevalier des Touches de Jules Barbey d’Aurevilly, par Germain Souchet

Christian Petersen (Getty Images).

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08/04/2006

Voyage au tabou de la nuit, par Matthieu Jung

Richard Milette, 1996


«Les socialistes s’interdisent de sortir d’une pensée pétrifiée et d’aborder sans tabous des thèmes chers à leur électorat.» Yvan Rioufol, Le Figaro, 1er juillet 2005.
«L’idée d’un impôt mondial (sur les billets d’avion par exemple) pour booster l’aide [au développement], tabou hier, est pourtant appuyé par 110 pays aujourd’hui». Vittorio De Filippis et Christian Losson, Libération, 2 juillet 2005.
«Enfin, Laurence Parisot a dit son intention de casser un tabou : celui des règles de représentativité syndicale qu’elle entend rénover». Le Monde, 7 juillet 2005.
«Sans oublier les gauchistes, ravis de déstabiliser ce qui restait de cohérence sociale sur un sujet tabou : l’Europe.» Daniel Soulez-Larivière, Libération, 15 juillet 2005.
«Nous avons décidé de […] lancer une réflexion sans tabou sur les dysfonctionnements de nos mécanismes d’alerte et de suivi de l’enfance en danger», Valérie Pécresse et Patrick Bloche, Le Monde, 21 septembre 2005.
«Sida : Charlotte Valendrey, le témoignage qui brise les tabous». L’Express, 22 septembre 2005.
«Violences conjugales : la réalité se regarde désormais en face comme un sale hématome dans une société où un tabou se brise encore parfois moins vite qu’une arcade sourcilière.», Didier Pobel, Le Dauphiné libéré, 24 novembre 2005.


Il ne se passe plus une journée, aujourd’hui, dans la France médiatique, sans que quelque part, quelqu’un, à propos d’un sujet de la vie politique, culturelle ou sociale, découvre un tabou qui traînait, là, dans l’ombre, discret, ignoré du public, presque honteux; ni sans que ce quelqu’un entreprenne alors de le débusquer, ce tabou, comme un chasseur sachant chasser sans son chien. Farouchement. Rageusement. Et, une fois le tabou délogé, de le faire tomber.
Ou, mieux encore, de le briser.
Mais alors en mille morceaux hein si possible, pour qu’il ne demeure plus qu’un tas, un amas informe, un monceau monstrueux de tabous éclatés.
Pour certains, tel le primesautier Frédéric Strauss de Télérama, cette activité confine à l’orgasme : «Quelques tabous qui sautent, ça fait toujours plaisir» (31 août 2005). Qu’objecter face à tant de juvénile enthousiasme ? Tu ne voudrais pas plutôt faire sauter quelques bouchons de champagne, Frédéric ? Et laisser les tabous tranquilles ?
Devant une telle frénésie, la question du recyclage des tabous brisés risque de se poser rapidement. Comment en effet se débarrasser de ces centaines de tabous détruits ? Les incinérer dans une déchetterie à tabous ? Mais les fumées du tabou brûlé ne trouent-elles pas la couche d’ozone ? A ce jour, aucune enquête scientifique sérieuse n’a encore été menée. On ne sait quasiment rien de la composition moléculaire du tabou. C’est ennuyeux. En matière de combustion du tabou comme dans bien d’autres domaines, ne faut-il pas en appeler au principe de précaution ? Ne vaut-il mieux pas travailler en amont, insister sur la prévention en fabriquant dès l’origine du tabou 100 % recyclable, garanti sans amiante ni CFC ?
Cet extraordinaire engouement pour le mot «tabou», devant lequel un psychiatre venu d’un autre temps diagnostiquerait certainement une écholalie généralisée, lui permet d’effectuer une remarquable remontée vers le peloton de tête de la pensée correcte, où il talonne désormais «éthique», «citoyen», «phobie», «transparence» et «discrimination», échappés en compagnie du maillot jaune aussi niais qu’abrutissant : «ensemble».
Peut-être verra bientôt notre outsider sur la plus haute marche du podium dans le titre d’un roman à succès : Tabou, c’est tout ?
On attend le jour où l’on prononcera des phrases entières avec tabou mis bout tabou. À la forme affirmative : «Tabou, tabou tabou tabou, tabou». Suspensive, presque mélancolique : «Ô tabou, tabou…». Exclamative, en forme d’insulte, fort dans les oreilles : «TABOUUU !»
Deux analystes, sur un même sujet, peuvent détecter des tabous différents, voire antagonistes, et s’écharper pour savoir où se trouve le tabou véritable. Ainsi Denis Baupin déclarait le 19 janvier 2001, un peu avant de commencer à éventrer les voies de circulation parisiennes : «Les Verts préconisent la légalisation du cannabis, tant pour sa consommation que pour sa vente, […] et la médicalisation des drogues dures. Mettre en œuvre ces deux propositions implique de briser un tabou.» Cinq ans passent, Denis Baupin éventre les voies de circulation parisiennes, et Didier Jayle, Président de la MILDT (Mission Interministérielle de la Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie, ouf) affirme sur France Inter le 18 janvier 2006 : «Le cannabis, au début ça aide, et après ça va aggraver les choses. […] C’est le rôle des pouvoirs publics, d’expliquer, d’en parler, de lever les tabous, qu’il puisse y avoir un dialogue sur les drogues et en particulier sur le cannabis».
De temps en temps, une accalmie se produit, on nous fout la paix une douzaine d’heures avec les massacres de tabous. Et même une journée entière. Voire deux. Alors l’étonnement point. On se dit : «Tiens, le tabou va-t-il repeupler nos vies quotidiennes comme le loup le parc du Mercantour ou l’ours les Pyrénées, au grand dam des burinés bergers barbus ?» Mais non, contrairement à ces prédateurs séculaires, le tabou ne dispose d’aucun relais dans l’opinion. Plus personne n’en veut, il paraît autant le bienvenu qu’un canard crevé au bord d’un étang d’une région avicole.
Il suffit pour s’en convaincre de regarder ceux qui ne se réjouissent pas de sa liquidation. «Panne de tabous» titrait Bertrand Poirot-Delpech à l’époque lointaine où il tenait encore chronique dans Le Monde. Et dans le premier tome d’Après l’Histoire, Philippe Muray se demandait dès 1998 en quoi de présentable l’Occident allait pouvoir transformer le tabou de l’inceste, auquel il lui faudra bien s’attaquer un jour ou l’autre. Nous devrions nous méfier, car la réalité a de plus en plus régulièrement tendance à correspondre exactement, avec dix ou quinze ans de retard, aux anticipations cauchemardesques de Philippe Muray.
Autant dire qu’avec un comité de soutien composé d’un académicien septuagénaire et d’un visionnaire prématurément trépassé, le tabou ne va pas aller loin. Pourvu que Benoît XVI ne s’en mêle pas, par-dessus le marché !
Non, la trêve ne dure jamais longtemps. Les battues anti-tabou reprennent de plus belle, aboutissant à des lynchages tabouphobes suivis d’ignobles curées tabouphages. On assiste à des exécutions sommaires filmées n’importe comment à la Ceaucescu.
«Le Medef sans tabous», applaudissait Le Figaro dans son éditorial du 18 janvier 2006. Quelle santé, quelle audace, cette Laurence Parisot ! Quel pari sot, surtout, un Medef sans tabous !
Peu après deux lesbiennes nantaises assignant au tribunal la CPAM qui refusait de leur verser un congé de paternité se plaignaient dans Libération : «La famille reste institutionnelle, taboue». (Si quelqu’un comprend vaguement le sens de cette assertion absconse, merci de me faire signe).
Le persévérant Patrick Bloche, président de la mission d’information sur la famille, se souvient, plein de fierté, dans le même journal : «Il faut revenir en arrière, au moment du débat sur le Pacs. C’était la première fois qu’on légiférait sur le couple homosexuel, qui n’était plus un sujet tabou» (24 janvier 06).
Le lendemain, Amélie Gonzalez enchaîne dans Télérama : «L’alcoolisme, peut-être plus que tout autre dépendance, est un sujet tabou, vécu dans la souffrance, l’anonymat, la honte». Après la «Pute Pride» qui s’est tenue le 18 mars dernier à Pigalle, bientôt une «Pochtron Pride», avec titubation obligatoire dans le cortège ?
Absolument pas découragé en contemplant ce gigantesque cimetière, David Pujadas déniche un rescapé aussitôt liquidé le jeudi 26 janvier 2006 : «À propos de la pédophilie, une campagne vient de commencer en Allemagne, une campagne qui brise un tabou et qui peut mettre mal à l’aise. Elle s’adresse aux pédophiles eux-mêmes, en les encourageants à se signaler».
Le 27 janvier sur France-Inter dans l’émission «Franc-parler», c’est un Jean-François Copé en pleine forme qui déclare : «Je pense que dans ces sujets-là il ne faut plus qu’il y ait de tabous». Il parlait de la violence scolaire.
Le 31 janvier, la fulgurante Cécile Prieur du Monde déclare tout d’un coup, sans reprendre sa respiration : «Le tabou de la sélection à l’entrée en première année de médecine pourrait être levé».
Parfois, des aventuriers dégottent des tabous surprenants, nichés jusques en des recoins insoupçonnables. Ainsi apprend-on attristé quelques heures plus tard sur France 3 : «Un vieux tabou du football associatif est tombé : la Ligue 1 s’ouvre aux marchés financiers».
«Si la sécurité de l’emploi demeure un attrait non négligeable du secteur public, une étude lève le voile sur le sujet encore tabou des précaires de la fonction publique», notait quant à elle madame Chabaud dans L'Humanité du 22 février 2006 (non par Arlette, Christelle. Christelle Chabaud. Arlette c’est Chabot. Ou Laguiller. Mais certainement pas Chabaud).
Conscient de la nécessité d’inculquer le plus tôt possible l’aversion du tabou aux nouvelles générations, le magazine lycéen Phosphore de février 2006 donne la parole à la chanteuse Princess Aniès qui, vantant la singularité du rap au féminin, tabouscule à son tour : «On s’aventure sur des sujets tabous pour les hommes. Moi, par exemple, j’ai abordé le thème de l’homophobie des rappeurs, un thème super tabou». Super tabou mais surtout super intéressant.
Tabou, pauvre tabou…
Tabou, forme francisée de taboo, attesté pour la première fois en Europe dès 1777 sous la plume du capitaine Cook («When any thing is forbidden to be eat, or made use of, they say that it is taboo»), dans le journal de son premier voyage vers le Pacifique sud.
Taboo, du polynésien tapu : «interdit, sacré», sur lequel Lévi-Strauss ou Freud construisirent quelques-unes de leurs plus admirables théories.
Tabou, infortuné substantif, il a fini de servir maintenant, remâché par tant de bouches qu’il n’est plus déchiffrable, comme ces précieuses missives amoureuses oubliées dans la poche d’un vêtement qui ressortent en lambeaux humides du tambour de la machine à laver. Son sens en est perdu, irrémédiablement, et peu à peu le signifié a rejoint le signifiant, aspiré dans le néant par la réitération mécanique et massive.
Et, l’autre soir, Le Monde publiait une tribune de l’historienne Esther Benbassa, consacrée au «gang des barbares». Toute occupée à préparer son «Pari(s) du Vivre-Ensemble : une semaine de lutte contre les discriminations et pour la rencontre des différences» (re-ouf), elle se demandait, indécise, si la sauvagerie dont avait fait preuve les ravisseurs de ce jeune homme beau comme un soleil détenu et torturé trois semaines durant au fond d’une cave sordide, elle se demandait si cette sauvagerie, peut-être, par hasard, entre autres supputations, éventuellement, on ne devait pas l’imputer à «une absence totale de tabous».

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06/04/2006

Le Maître du Haut Château ou la vérité truquée de l'art

Crédits photographiques : Aly Song (Reuters).

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05/04/2006

La Francia que espera a los reyes de España : un país en llamas, par Juan Pedro Quiñonero

Crédits photographiques : Torsten Blackwood (AFP/Getty Images).

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04/04/2006

Rien n'est réglé, par Georges Sebbag

Affiche Mao placardée sur les abribus de l'Essonne en 2003. Cette illustration a également fait la 4ème de couverture du Journal de l'Essonne n° 40, février 2003.


Quelques mots sur cette illustration (cf. infra texte de Georges Sebbag) : cette affiche de type Mao a été vue sur les abribus de l'Essonne, en 2003. Elle fut aussi placardée dans les journaux, spécialement dans le Journal du Conseil général distribué gratuitement ou plutôt fourré dans des centaines de milliers de boîtes à lettres. Cette illustration a également décoré la quatrième de couverture du Journal de l'Essonne n° 40 du mois de février 2003.

De Georges Sebbag, que je remercie vivement de m'avoir autorisé à reproduire son texte, voici ce que nous pouvons savoir : né à Marrakech en 1942, l'auteur a enseigné la philosophie (en lycée) de 1967 à 2002 et a publié notamment Le Masochisme quotidien, La Morsure du présent, Le Gâtisme volontaire et Le Génie du troupeau (notre extrait est en fait le sixième et dernier chapitre de cet ouvrage paru en 2003 chez Sens & Tonka), ainsi que plusieurs ouvrages concernant le surréalisme, comme L’Imprononçable jour de sa mort ou André Breton, l’amour-folie.
Ses sujets d’étude ou de réflexion, tels qu'il me les a précisés, sont :
1. Non pas le Pouvoir, mais la soumission : masochisme quotidien, gâtisme volontaire.
2. La démographie gouverne la démocratie.
3. Le temps sans fil et les microdurées artificielles.


Georges Sebbag, Le Génie du troupeau, édité par Sens & Tonka en 2003Rien n'est réglé
Samedi 4 janvier 2003 : il neige sur la région parisienne, environ 5 centimètres. Midi : nous empruntons, Monique et moi, l'autoroute A 10 au péage de St Arnoult-en-Yvelines pour nous rendre à Paris. 16 heures 30 : la neige a cessé, la température avoisine le zéro degré, nous prenons le chemin du retour. 17 heures : à la hauteur de Palaiseau, nous hésitons entre la bretelle d'accès à la A 10 qui est encombrée et celle qui conduit à la nationale 20 qui paraît dégagée. Nous choisissons l'autoroute estimant qu'elle est plus sûre. 18 heures : c'est l'embouteillage, nous avons mis une heure pour parcourir cinq kilomètres, la chaussée devient glissante, nous sommes angoissés; soit nous sortons immédiatement direction Orsay pour reprendre la A 10 un peu plus loin, soit nous courons le risque d'être bloqués sur l'autoroute dans des conditions déplorables. Nous décidons de sortir. Peu d'automobilistes font de même. Arrivés à Orsay, nous rejoignons la nationale 118 qui conduit à la A 10 et à la A 6. Il est 19 heures. Là, spectacle ahurissant de centaines de voitures et de camions agglutinés. L'embouteillage de tout à l'heure ne s'est pas dissipé. Cette fois-ci, soit nous nous insérons dans les quatre files saturées de la A 10, soit nous tentons notre chance en direction de la A 6, sachant que la première sortie, 10 kilomètres plus loin, rejoint la N 20. Nous nous décidons à rejoindre la N 20. Puis nous roulons jusqu'à Étampes. Il ne nous reste plus que 15 kilomètres. Nous arrivons à notre domicile, à Authon la Plaine, vers 20 heures 30. Bilan : quatre heures de route éprouvantes pour un trajet habituel d'une heure.

Retour sur l'autoroute A 10
Dimanche 5 janvier 2003, les médias diffusent l'information : 15 000 véhicules sont restés bloqués sur un tronçon de la A 10, dans les deux sens de l'autoroute. Près de 30 000 personnes ont été immobilisées dans le froid durant la nuit de samedi à dimanche. Elles ont été piégées quinze heures, vingt heures ou plus, et laissées à l'abandon. )L'événement prend sa source dans une croyance : l'autoroute serait par nature plus sûre que le reste du réseau routier. Les autorités se sont accrochées à ce principe, alors que les faits, heure après heure, en démontraient l'inanité. La société Cofiroute et la préfecture ont décidé de régler les problèmes d'entravement ou de verglas sans faire évacuer l'autoroute. Et elles ont piteusement échoué. Elles n'ont pas voulu admettre que le réseau routier environnant était plus fiable que le tronçon fatal de la A 10. Prenez une carte. Les automobilistes bloqués depuis les péages d'Allainville et de St Arnoult jusqu'aux sorties Les Ulis ou Palaiseau, auraient pu être dégagés, entre autres, par les nationales 191, 104 et 118. Bref, l'autoroute impraticable à quatre voies n'a pas dénié faire appel à des nationales ou des départementales, certes praticables, mais considérées au premier chef comme de sinistres voies de perdition. Confirmation de cette explication : d'une part, la radio Autoroute FM s'est abstenue de faire état de la pagaille sur la A 10 afin que les automobilistes ne quittent pas l'autoroute, d'autre part, selon Le Figaro du mardi 7 janvier 2003, «un expert de la Direction des routes souligne qu'il a peut-être été “préférable” de laisser les automobilistes se regrouper sur les autoroutes que de les envoyer sur un réseau secondaire où ils auraient risqué l'accident.» Ainsi va le cynique principe de précaution décrétant que 30 000 personnes immobilisées en rase campagne par - 5 degrés et passant une nuit blanche dans leur véhicule sont plus à l'abri et plus chanceuses que celles qui ont emprunté les routes dites secondaires pour arriver à destination.

Comment rentrer dans le rang
Avec l'argent, nous avons appris à compter. Mais nous sommes curieusement embarrassés dès qu'il s'agit d'évaluer la quantité humaine. Combien y a-t-il de voyageurs dans un car, un wagon, un train, sur un quai, dans une gare ? Combien de clients se pressent dans une boutique ou dans une grande surface ? Combien de spectateurs dans une salle de théâtre ou de cinéma ? Combien de visiteurs font la queue au Louvre ? Quels que soient les chiffres avancés, il reste que les corps humains comme le milieu spatial sont incompressibles. En réalité, que nous le voulions ou non, nous avons une expérience concrète du grand nombre. Soit comme touristes ou estivants, quand nous partageons un coin de trottoir ou de plage. Soit en tant qu'automobilistes, quand nous circulons et que nous escomptons un trafic fluide. Les occasions ne manquent pas de rencontrer le grand nombre en chair et en os. Et pourtant nous hésitons à le nommer et à plus forte raison à le nombrer. Pourquoi ? Parce que notre expérience du grand nombre est plus décevante qu'enthousiasmante. S'il y a des défilés festifs, des supporters allumés ou des foules en liesse, il y a aussi des rassemblements mornes. Mais surtout nous passons le plus clair de notre temps à nous inclure dans le grand nombre. Ou bien nous nous plongeons dans les médias et nous rallions le public universel, ou bien nous prenons notre tour, nous faisons la queue, et nous venons grossir une quantité humaine.

La loterie démocratique
La démocratie se fie au hasard pour contercarrer le destin. Ainsi les membres d'un jury siégeant dans un tribunal sont-ils tirés au sort. Mais ce principe est étendu à deux cas extrêmes : la loterie et les assurances. La loterie est une machine à sous, qui outre un gain substantiel pour l'organisateur, distribue à de rares gagnants une somme coquette prélevée sur les mises d'un grand nombre de joueurs, qui n'ont pas tout perdu puisqu'ils ont caressé l'espoir de gagner en participant au jeu. Les assurances accident, maladie ou vie, ainsi que les retraites par répartition, reposent sur un ajustement statistique entre d'un côté les cotisations et d'un autre côté les remboursements, allocations ou pensions. Cette fois-ci, à l'encontre de la loterie, tout le monde paraît gagnant, car quel individu pourrait seul assumer sa propre caisse accident-maladie-retraite ? Mais n'est-il pas opportun d'évoquer alors la bourse dont le système de cotations semble situé à mi-chemin, entre les caisses d'assurances et la salle de casino ? En fait, le grand nombre manifeste son existence à trois reprises : 1° l'assurance est la couverture du grand nombre qui recouvre le plus grand nombre; 2° la bourse brasse sans garantie les affaires du grand nombre; 3° la loterie est la couverture démocratique symbolisant la munificence du grand nombre.

La faillite du grand nombre
Qu'est-ce qui pèse le plus dans la balance du capitalisme ? La navigation à vue de la bourse et du marché ? La sécurité à moyen terme des assurances et de l'État-providence ? Les largesses «magiques-circonstancielles» de la loterie démocratique ? En fait, il est impossible de dissocier les trois modalités de la prise en charge du grand nombre. Car si les assurances cotées en bourse se plient à la loi du marché, les fonds de pension approvisionnant les places financières remettent à leur tour de l'ordre dans le marché. Quant à la loterie démocratique qui assure la promotion de quelques-uns avec le concours du grand nombre, elle est saluée, bien qu'elle effectue un grand écart, comme un événement euphorique et incontestable. Pourtant il arrive de drôles d'histoires aux galettes de la prévoyance et de la bourse, à la cagnotte de la loterie, à toutes ces réserves financières censées alimenter le bien-être du grand nombre. Tantôt le filon paraît inépuisable et le grand nombre n'a qu'à se servir, tantôt la bulle éclate et le grand nombre se retrouve marri. Comment, par exemple, comprendre la dégringolade, en deux décennies, d'un pays riche comme l'Argentine ? Il serait trop commode de rendre responsable de cette catastrophe des politiciens véreux, une poignée de prédateurs ou la mondialisation. Cette faillite peut être aussi strictement démocratique. Car le grand nombre peut vouloir s'enrichir en s'endettant. Les individus du grand nombre, dont les effets multiplicateurs sont indéniables, ont plus les yeux braqués sur le présent que sur l'avenir. Ils préfèrent vivre à crédit, et au pire, ils s'en remettront à une loterie.

La révolution culturelle
En janvier 2003, à l'initiative du Conseil général de l'Essonne, une affiche vantant les mérites de la Carte jeune Essonne est placardée dans tout le département et est abondamment reproduite dans la presse locale. Contre une participation de 10 euros, les Essonniens de 16 à 19 ans pourront obtenir soit un chéquier de 150 euros leur permettant d'acquérir des billets de train, des places de spectacle, des entrées dans un stade, soit un crédit de 300 euros pour de la conduite accompagnée. Cette affiche, dans son imagerie et son traitement proche de la sérigraphie en couleurs, nous ramène ni plus ni moins qu'à la révolution culturelle de Mao. Outre les trois étoiles encadrant le texte, nous découvrons, pour la partie illustrée de l'affiche, trois jeunes garçons en uniforme dans la pose extatique de militants propagandistes. Le plus démonstratif d'entre eux, tout de rouge vêtu, veste boutonnée et col Mao, brandit dans la main droite un livre brun-rouge (ce pourrait être le Livre rouge du président Mao) et dans l'autre un disque. Ultime touche : le logo du Conseil général de l'Essonne ainsi que la mention «Solidaires !» en rouge vif sont apposés sur les trois garçons, autrement dit sur les trois gardes rouges. Cette affiche édifiante n'est sans doute qu'un hommage à l'art de la propagande. Il en émane aussi une certaine nostalgie de la phraséologie révolutionnariste et jeuniste, comme en témoignent le titre «Le pouvoir d'achat aux jeunes !» et l'accroche du texte «Le Conseil général de l'Essonne prend le parti de la jeunesse en inventant la Carte jeune Essonne !». Le bonhomme Mao, comme s'il s'agissait d'un quelconque Bibendum, a encore des aficionados parmi les affichistes et les fonctionnaires de la politique et de la culture.

Gratuité de l'école, école de l'ingratitude
L'école est gratuite, les livres sont gratuits, les préservatifs et la pilule du lendemain sont quasiment gratuits. Difficile de savoir si les distributeurs de préservatifs interviennent dans la courbe des relations sexuelles chez les adolescents. En revanche, il est certain que depuis des années se développe une désaffection vis-à-vis du livre. Les lycéens ont beau utiliser des manuels scolaires et fréquenter des centres de documentation, ils ouvrent rarement à l'école, à la maison, dans les transports en commun ou en vacances, un livre non scolaire. Les garçons, en particulier, semblent éprouver une véritable phobie du livre. Rappelons que pour lire, il faut trois conditions : la solitude, la durée et l'effort. La lecture est un exercice solitaire où la présence discrète de l'auteur se fait sentir peu à peu. La lecture d'un livre peut prendre des heures, voire des journées. Un effort soutenu est indispensable pour mener à bien une lecture. Or les cédés, les jeux-vidéo, la télé et internet, qui exigent autant de temps mais moins d'effort que la lecture et qui de surcroît établissent un contact immédiat et hallucinatoire avec autrui, apparaissent comme une nouvelle forme de culture et donc comme une alternative à la lecture. En fait, le peu d'appétence pour l'effort soutenu trouve son origine dans l'école elle-même. Chargée d'accueillir toute la jeunesse pour un minimum de vingt annuités, l'institution scolaire a substitué à la loi de l'effort le principe du réconfort. C'est dans ces conditions que la jeunesse scolarisée a manqué son rendez-vous avec le livre. Et pourtant, l'édifice scolaire repose en principe sur le livre.

Le portable à l'école
Jusqu'à présent, la politique de l'école en France s'appuie sur une double postulation, scolariste et pédagogiste. Le scolarisme affirme qu'il vaut mieux qu'un enfant, un jeune ou un adulte restent à l'école plutôt que de traîner dans la rue. Pour le scolarisme, et c'est là son axiome politique, l'école, d'essence démocratique, peut réduire et même supprimer les inégalités sociales. Et il ajoute, et c'est là son axiome moral, que l'école, propagatrice des droits de l'homme, est plus morale, plus civique, bref plus éducative que la famille, le travail et les médias. Qui dit scolarisme dit chasse aux illettrés et scolarisation à outrance. Quant au pédagogisme, il assume les conséquences de l'impératif scolariste, en insistant non sur les contenus de l'enseignement mais sur les relations cordiales que doivent entretenir tous les usagers de la «communauté scolaire». Les enseignants, dans une école transformée en lieu de vie, éveillent avant tout les enfants ou les jeunes à leur personnalité. Animateurs et communicateurs, ils dispensent accessoirement un savoir. C'est dans un tel contexte qu'il faut situer l'apparition de l'informatique et du téléphone portable à l'école. Notons d'abord que les jeunes garçons, adeptes des jeux-vidéo, ont appris spontanément à se servir d'un ordinateur à la maison et qu'ils se sont conduits pour l'occasion en autodidactes. L'outil informatique n'a été introduit à l'école qu'après coup. Remarquons ensuite que le téléphone portable s'est propagé à l'école comme une traînée de poudre, spécialement chez les élèves. Le portable signale que l'école n'est plus dans l'école. Jadis, lieu d'étude et de discipline, l'école est à présent un lieu de vie à vau-l'eau.

Servez-vous, c'est gratuit !
«Vous êtes à l'école, servez-vous, c'est gratuit. Vous y passerez de nombreuses et belles années. Vous y apprendrez à aimer, à remuer, à chanter, à danser. Vous mangerez ensemble à la cafétéria. Vous aurez droit à des sorties et des voyages scolaires. Et puis si vous tombez sur un livre, vous pourrez passer votre chemin.» Ce discours qui résume l'invite faite aux écoliers et même aux étudiants paraîtra tendancieux. Pourtant cette sorte d'invitation sort tout droit du programme des scolaristes et des pédagogues. D'ailleurs les termes employés n'ont rien d'extraordinaire. Ils reprennent le blabla qui court dans les prospectus ou les brochures des hypermarchés et des agences de voyages. Cependant, lorsque l'école déclare : «servez-vous, c'est gratuit !», elle ne se contente pas de vendre un produit, elle réussit à orchestrer le comportement du grand nombre. On pourrait citer à cet égard un exemple parallèle. Depuis quelque temps on assiste à la distribution massive et gratuite de journaux dans les métros et gares des grandes villes. Quel est le credo de la presse gratuite ? «Servez-vous, le transport est rapide, vous lirez tout en vingt minutes». Et quelle est la doctrine de l'école gratuite ? «Servez-vous, vous séjournerez vingt ans à l'école, vous n'aurez pas besoin de tout lire.»

Confession et exhibition
La mode est à la confession et à l'exhibition. Et curieusement, cette mode ne connaît pas de répit. La discrétion n'est plus de rigueur. Le chic n'est plus dans la demi-teinte. Les individus du grand nombre se montrent tels qu'ils sont ou tels qu'ils voudraient être. Et ils se font forts de pourfendre les tabous et de dévoiler leur jardin secret. À la société spectaculaire-marchande, décrite par Guy Debord, qui auréolait la marchandise de toutes les vertus, a succédé la surexposition des paroles et des corps. Cet engouement sans faille pour l'épanchement et l'étalage demande quelques explications. 1° Les individus du grand nombre sont devenus, en lieu et place des produits marchands, les nouveaux points de mire. 2° Ils parlent en abondance, disent tout, ne cachent rien, comme si une psychanalyse sauvage déferlait sur les médias, les portables, les courriers électroniques, ou encore devant les distributeurs de café. 3° En contrepoint de la débandade des âmes, les individus du grand nombre revêtent divers accoutrements. 4° Toutefois, s'ils se masquent et s'exhibent, ce n'est pas pour parader mais pour passer inaperçus. 5° Ils sont sans pudeur et ne se sentent pas surveillés; rien n'opère sur eux, ni le surmoi freudien, ni le regard d'autrui sartrien. 6° En fait, l'individu qui parle et qui se montre ne s'adresse à personne; il jette une bouteille à la mer, reconnaissant ainsi tacitement l'existence du grand nombre. 7° Il fait d'ailleurs l'économie de la religion, de la famille et de l'État, en négligeant l'Autre (Dieu, l'inconscient, l'étranger). Car pour lui, le grand nombre est la répétition du Même.

Le crime et le grand nombre
Les suicides sont nettement plus nombreux que les homicides (dix suicides pour un homicide en France). En général, l'assassin assouvit une jouissance ou un intérêt à travers une victime connue ou inconnue (crimes passionnels et meurtres sadiques, crimes crapuleux et règlements de compte). Comme les crimes sont plutôt occasionnels, on est évidemment surpris de l'existence de crimes sadiques en série. Ces criminels en série qui font les manchettes des journaux, on les juge pervers sur le plan psychiatrique mais aussi moral («perseverare diabolicum»). Lançons une hypothèse. Un criminel à la recherche d'une victime n'a que l'embarras du choix face aux individus du grand nombre. C'est l'étendue du choix qui ouvre un boulevard au crime en série. D'une part, les victimes potentielles, beaucoup trop nombreuses, ne se sentent pas personnellement menacées. D'autre part, avec une longueur d'avance sur la police, le tueur en série perfectionne sa méthode et prolonge sa série. Toutefois, dans l'histoire criminelle du grand nombre, la figure du serial killer est en passe d'être supplantée par celle du «tireur fou». Entraîné et solidement armé, le tireur fou est décidé à perpétrer un massacre jusqu'à ce qu'on l'abatte ou qu'il se suicide. Ce criminel hors norme incarne la pulsion de mort. Son principal objectif est de faire un carton dans le grand nombre.

L'acte surréaliste le plus simple
Le massacre fait partie du patrimoine de l'humanité. Il relève le plus souvent de la guerre de conquête, de la furie religieuse, du code de vengeance ou de la terreur politique, et il met en branle des croyances et des pratiques collectives. Assurément, il prend une tout autre tournure quand il est le fait d'un individu isolé qui ouvre le feu sur la foule et déclare la guerre au grand nombre. Quatre exemples viennent ici à l'esprit : 1° Les attentats anarchistes destinés à abattre l'État sans épargner le peuple représentent sans doute les premières démonstrations d'hostilité des individus vis-à-vis du grand nombre. Toutefois, ces attentats ne sont pas strictement individuels. Ils sont l'œuvre d'un groupuscule adoptant la logique classique du complot. 2° Dans le roman d'André Gide, Les Caves du Vatican, Lafcadio précipite d'un train en marche un inconnu. En fait, le dandy Lafcadio réalise une «performance», où il est suggéré que le libre arbitre s'achève dans l'acte gratuit ou que la métaphysique s'accomplit dans l'esthétique. 3° Le 24 juin 1917, Jacques Vaché, le dandy des tranchées, assiste à la représentation des Mamelles de Tirésias de Guillaume Apollinaire. Cette pièce fait, en pleine guerre, l'apologie de la repopulation. Jacques Vaché, particulièrement excité, veut «tirer à balles sur le public». Son ami André Breton parvient à l'en dissuader. 4° On connaît ce passage fameux du Second manifeste du surréalisme : «L'acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à tirer au hasard, tant qu'on peut, dans la foule.» À travers ces quatre éclairages, on découvre peu à peu la dramaturgie du tireur fou, la confrontation sanglante de l'individu et du grand nombre.

La multiplication des assassins
La logistique de la déportation des Juifs, depuis l'arrestation jusqu'à l'arrivée dans le camp d'extermination, a mobilisé un personnel considérable. En revanche, sur place, les nazis, relativement peu nombreux, ont entretenu un climat de terreur tel qu'ils ont pu sous-traiter l'administration de la mort. Afin de réduire la quantité de bourreaux allemands, les basses œuvres les plus répugnantes ont été réservées aux victimes elles-mêmes. Ainsi, les nazis se sont payé le luxe de tremper directement leurs mains dans le sang et les os de la solution finale, non pas à la hauteur de dizaines de milliers d'allemands mais seulement de quelques milliers. Mais il en ira tout autrement lors du génocide perpétré au Rwanda en avril 1994. Là, le grand nombre massacrera le grand nombre. Environ 100 000 Hutus, entourés de complices, abattront, souvent à l'arme blanche, plus de 500 000 personnes, pour la plupart des Tutsis.

La concentration de population
L'accès à un ascenseur ou à un moyen de transport, l'accueil à l'école ou dans un musée, le séjour à l'hôpital ou en prison, sont réglementés. En particulier, le nombre d'usagers, de voyageurs ou de visiteurs est strictement limité. Et de tels seuils sont fixés pour des raisons de sécurité ou par souci de confort. Observons que la quantité humaine est déjà préfigurée ou inscrite dans les objets techniques et architecturaux. Dans une clinique de cinquante lits, coucheront au maximum cinquante malades. Un parking prévu pour cent autos n'en logera pas une de plus. Mais voilà que surgit un paradoxe : alors que le grand nombre est astreint à une comptabilité dans ses redistributions ou ses déplacements, il ne fait pas l'objet d'une évaluation en tant que grand nombre. Au contraire, il semble aller de soi que les populations ne peuvent que croître et multiplier. Double bind : contingenté à l'échelle de la vie quotidienne, le grand nombre continue à se déployer à grande échelle. Nous ne pointons pas le surnombre. Pourtant la surpopulation existe et sévit. Elle est même le facteur déclenchant de plusieurs guerres civiles, notamment en Afrique. La densité des populations dans la région des Grands Lacs, au Rwanda et au Burundi, nourrit l'hostilité entre Hutus et Tutsis. Ajoutons que le conflit Israël-Palestine prend de plus en plus une tournure démographique, la bande de Gaza battant tous les records de concentration de population.

Le «tireur fou» et les «génocidaires»
Le tireur fou va jusqu'à abattre dix, vingt inconnus, rencontrés sur son chemin. Comme il finit par se suicider, on ouvre rarement son procès. Dans une guerre civile démographique, les bandes de massacreurs s'en prennent aux gens du voisinage. Au Rwanda, les armées et les milices Hutus ayant été vaincues militairement, des dizaines de milliers de «génocidaires» ont été arrêtés. Depuis, ces «génocidaires» croupissent en prison, en attendant d'être jugés. Mais comment instruire leur procès ? Comment distinguer les assassins des comparses ? Les «repentis» auront-ils droit à une remise de peine ? C'est tout le processus de la justice qui est bouleversé, quand doivent comparaître des dizaines de milliers de bourreaux, ayant à répondre chacun d'un massacre ou d'un simple crime.

La phobie du grand nombre
Face aux rares tireurs fous ou aux innombrables bandes de «génocidaires», la réflexion chavire. Soit on les qualifie de monstres, et on ne leur accorde pas de responsabilité personnelle. Soit on les juge sous l'influence de la fureur médiatique, pour le tireur fou, ou sous l'empire d'une haine ancestrale, pour les «génocidaires», et on ne daigne toujours pas leur reconnaître un libre arbitre. Mais leur furie meurtrière découle en fait d'une volonté exterminatrice, qui a précisément pour objet le grand nombre. Au Rwanda, les massacres sont autant «démocidaires» que «génocidaires». D'ailleurs des milliers de Hutus ont aussi été mis à mort par les «génocidaires» Hutus. On n'a pas fini de recueillir les retombées de l'explosion démographique.

L'humanitaire et le démocidaire
De même que la démocratie est rattrapée par la démographie, la passion humanitaire est suivie de près par la pulsion démocidaire. Que trouve-t-on dans les bagages de l'humanitaire triomphant ? 1° une bible des droits de l'homme; 2° une trousse d'urgence de l'humanitaire sanitaire; 3° un drapeau des médias universels; 4° un message multiculturaliste. En réalité, la foi humanitaire se réduit à un seul article, fortement inspiré par le traumatisme à retardement de la Shoah : «sauver des vies humaines à tout prix». En dehors de cet impératif unique, tout est permis. Or, au moment même où la passion humanitaire clame urbi et orbi son désir de conserver en vie le moindre souffle humain, des démences assassines, des passions démocidaires se donnent libre cours.

«LISEZ :», «NE LISEZ PAS :»
En 1931, la Librairie José Corti édite un catalogue des livres et publications surréalistes. En quatrième de couverture, sont disposées en colonnes et dans l'ordre chronologique deux listes antinomiques. Sous la rubrique «LISEZ :», figurent les noms de cinquante-six auteurs subversifs (depuis Héraclite jusqu'à Savinio) et sous la rubrique «NE LISEZ PAS :», ceux de cinquante-neuf écrivains plus classiques (de Platon à Malraux). On reconnaît là, dans une perspective plus ironique que dogmatique, le différend entre modernes et classiques. Ajoutons qu'André Breton remaniera par la suite les deux listes. Et nous autres, aujourd'hui ? 1° Nous sommes tiraillés entre écouter, regarder et lire. Mais nous préférons regarder un film, ou alors écouter de la musique, et seulement en désespoir de cause nous nous adonnons à la lecture. 2° Entre un bouquin et une bande dessinée, nous plongeons dans la BD. 3° Il y a une quantité de livres que nous n'ouvrirons pas, pour la bonne raison que nous les connaissons déjà par ouï-dire. 4° Un soupçon pèse sur la lecture. Ne serait-ce pas un plaisir solitaire ? 5° Quitte à lire, ce sera pour en causer, et nous irons piocher dans les listes des meilleurs ventes. 6° Entre la flatterie de la pub, le copinage de la critique et le réchauffé des campagnes prônant la lecture, plus personne ne semble croire qu'un livre se défende de lui-même. 7° Plus les auteurs se professionnalisent, moins il y a d'amateurs parmi les lecteurs. 8° Mais n'aurait-on pas attrapé la phobie du livre durant les années d'école et d'université ?

Le génie du troupeau
Sans doute, sous d'autres cieux, à Tahiti ou en une paisible Arcadie, paissait le troupeau humain, conduit par quelque pasteur divin. On peut en rêver, tout en lisant Le Politique de Platon ou Les Immémoriaux de Victor Segalen. Ou plus exactement, nul besoin de rêver. Nous y sommes de plain pied. L'ancien mythe se réactualise sous nos yeux. D'abord, la démocratie, en égalisant les droits des hommes, réalise la condition du troupeau. Ensuite, le capitalisme mondial, en alimentant six milliards de bouches, subvient aux besoins des populations. Sans compter l'humanitaire sanitaire, qui veille sur les plaies et les bosses. Enfin, et c'est là le vrai miracle, le bonheur de la multitude est assuré puisque les individus du grand nombre sont tous sans exception des génies. En fait, trois étapes ont été franchies : 1° la royauté et le gouvernement ont été abolis; la démocratie nous a délivrés de la politique; 2° les besoins matériels ont été satisfaits et des désirs immatériels inventés; le capitalisme a popularisé la déliaison dans les relations sociales et l'innovation dans la technique; 3° Où en est le communisme du génie ? Les individus du grand nombre se rassemblent-ils ou se dispersent-ils ? Raffolent-ils des microdurées qu'ils se mettent sous la dent ? Les génies sont-ils photogéniques ? Nous le saurons au prochain numéro.

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03/04/2006

Zone indexée

Philip Guston, Zone

Philip Guston, Zone.

Il va décidément falloir que je demande à Dominique Autié par quel miracle d'opiniâtreté, de patience et de connaissances purement techniques il est parvenu à doter son splendide site d'un index pour le moins efficace, s'il n'est exhaustif. J'ai déjà réussi à installer, grâce aux bons soins, une fois de plus, de Philippe Pinault, un moteur de recherche interne à la Zone mais ce n'est là qu'un pis-aller. C'est en tout cas ce que je me suis dit en me promenant dans la Zone afin de l'explorer dans le moindre de ses recoins : c'est peut-être la deuxième fois seulement que je m'adonne à une telle exploration, éreintante à bien des égards, d'abord parce que l'on parcourt, gêné, de vieux textes sans âme, journalistiques, secs, inutiles, rédigés en quelques minutes seulement comme le sont ces millions de petits exercices insignifiants de non-écriture qui constituent le corps immense et contrefait de ce Gargantua virtuel appelé le blogging. Cette exploration ou plutôt, cette marche sans but précis, m'a toutefois permis de remettre en lumière un certain nombre de textes que je ne me souvenais même plus avoir écrits... J'ai ainsi créé une nouvelle rubrique de liens, intitulée Démonologie, et ajouté quelques nouveaux textes aux catégories baptisées Le cadavre de la France (comme London bombing), Maljournalisme (Netizen) ou encore Étonne-moi, saint Espace ! (Paniques martiennes). Enfin, j'ai pensé témoigner de mon amitié envers celles et ceux qui ont écrit des textes pour moi en créant une dernière nouvelle catégorie, Hôtes.
Je ne sais pas si ces chiffres signifient quelque chose mais, à tout hasard, je les livre, alors même que j'ai observé, depuis la création de ce blog voici à présent bien des mois, un silence modeste quant à ce qu'il est convenu d'appeler les statistiques de fréquentation de la Zone : pour le mois de mars, les compteurs du Stalker ont enregistré 28 827 visiteurs uniques qui ont effectué 45 904 visites et ont vu, voire lu 113 852 pages. Les chiffres les plus anciens dont je dispose datent du mois de novembre 2004 : ils indiquaient alors 5 146 visiteurs uniques pour 7 038 visites et 16 512 pages vues, voire lues. Ces chiffres bruts me paraissent énormes, surtout pour un site tel que le mien, rien de moins que difficile, je le sais et... m'en réjouis. Je regrette que, à la différence de l'ancienne plate-forme de Haut et Fort, nous ne puissions plus connaître la provenance géographique de celles et ceux qui parcourent nos blogs et, même si je connais l'existence d'un certain nombre de gadgets qui pourraient pallier cet inconvénient, je ne puis me résoudre à déparer de l'un de ces affreux compteurs la page d'accueil du Stalker.
Désolé si j'écorne ainsi le sacro-saint mythe moderne de l'absolue transparence, mais, refusant d'installer ces usines à gaz qui mouchardent impunément, c'est sans doute que je suis encore assez soucieux de la qualité esthétique de la Zone...

Quoi d'autre, pour finir ? Un excellent (m'a-t-on dit) petit (cette fois, j'en suis sûr) entretien que m'a accordé Vox Galliae et, d'ici quelques jours sans doute mis en ligne, un dialogue beaucoup plus conséquent avec Claude Marc Bourget, directeur de la très belle revue électronique Strix Americanis.
Inutile de préciser que, devant de plus veiller à quelques ultimes détails liés à la parution très prochaine de La Critique meurt jeune, je suis littéralement vampirisé par la Zone, les corrections d'épreuve et la rédaction de tel ou tel papier pour d'hypothétiques revues littéraires, il en reste encore quelques-unes en France... Pour combien de temps encore ?

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01/04/2006

L'enterrement d'Ilan Halimi, par Frédéric Gandus

Crédits photographiques : Vyacheslav Oseledko (AFP/Getty Images).

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30/03/2006

Solaris de Stanislas Lem et le Dieu incompréhensible

Crédits photographiques : James Nicholson, NOAA NOS NCCOS Coral Culture and Collaborative Research Facility, Charleston, South Carolina (Nikon Small World).

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28/03/2006

Les bases du terrorisme islamiste, par Alexandre Del Valle

Crédits photographiques : Nashanuddin Khan (Associated Press).

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26/03/2006

La sociologie n’a pas de chance, par Jean-Gérard Lapacherie

Crédits photographiques : Stefan Wermuth (Reuters).

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25/03/2006

Tsunami au royaume de Lilliput



«La presse, ce goitre du monde, s'enfle de sa soif de conquêtes, éclate sous la pression des victoires qu'apporte chaque jour.»
Karl Kraus, La Découverte du pôle Nord, in Cette grande époque.


Vous ne le savez pas, personne ne le sait d'ailleurs, hormis quelques manchots de la terre Adélie qui les premiers ont assisté au terrible raz-de-marée et, nous disent les dépêches de l'AFP, depuis sont morts par dizaines de milliers, leurs petits cadavres affreusement démembrés flottant au milieu d'un chaos indescriptible de blocs de glace arrachés de l'Antarctique. Vous me direz encore que tout le monde s'en contrefiche à l'exception sans doute, ici, de quelques amoureux de cette vaillante race de pingouins qui s'affligent d'une extermination à grande échelle de ces animaux et, là, quelques heureux passionnés des tracés des sismographes qui, grâce à l'ampleur du séisme, ont pu de fait affiner leurs modèles mathématiques. En effet, ce que la blogosphère, ébranlée, vient de subir en quelques secondes intenses comme une explosion de novæ, n'est rien de moins que l'une de ses crises de croissance les plus fortes, le passage, sur un territoire immatériel grand comme plusieurs Europe géantes, d'un dévastateur ouragan Katrina pourtant invisible. Je n'irai pas par quatre chemins en vous disant que la Toile vient ni plus ni moins que d'enregistrer les secousses d'un tsunami dont l'épicentre est le nano-blog (je n'invente rien...) de... Cyril Fiévet.
Pardon ? Comment ? Vous me dites que vous ne comprenez pas de quoi je parle et me demandez, en plus, qui est ce Cyril Fiévet ? Comment cher monsieur, vous ne le connaissez pas, sans rire ? Oui, bon, certes, notre amitié est certes fort récente puisqu'elle est née au cours d'un de mes séjours en cette lointaine terre australe où ce savant émérite et reconnu de ses pairs étudiait le rare phénomène de la migration des pingouins adolescents mais... Effectivement, je vous le concède, c'est un peu loin tout de même, le pôle... Et les pingouins sont le cadet de vos soucis à l'heure où les rats anarchistes, sortis de leur cave d'ignorance puante, envahissent par dizaines de milliers les rues de Paris ? Bien... Je vois que vous n'êtes pas prêt de me faciliter la tâche... C'est vrai, c'est vrai, je ne savais rien, moi aussi, de cet illustre explorateur du pôle Sud virtuel jusqu'à ce que je lise ce nadir de la culture journalistique qu'est Netizen... Mais quoi encore, une nouvelle fois, vous me soupçonnez ? Je vous assure, puisque je ne puis décidément rien vous cacher : oui, j'ignorais jusqu'à l'existence de ce Cyril Fiévet il y a encore quelques jours à peine puisque cet homme est tout de même le rédacteur en chef d'une revue qui n'est, vous avez raison de le souligner, pas grand chose, un assemblage commercial d'articles publicitaires mal écrits dont le contenu est aussi pauvre qu'une terre congelée sous un kilomètre de permafrost.
Est-ce tout me demandez-vous ? Euh, oui, je le crains mais il y a tout de même de quoi réfléch... Non ? Quoi d'autre encore ? Que je me dépêche de poursuivre mon histoire qui s'enlise sur la banquise alors même qu'elle ne parvient pas à se mettre en marche, comme l'une de ces longues files de manchots empereurs à tout jamais balayées par la catastrophe polaire ? Vous êtes bien dur l'ami mais ces rudes manières me vont assez et puis, voyez-vous, à peine revenu du pôle, mon cerveau a bien dû mal à se dégourdir, en somme, à se décongeler, comme la pensée de tel intellectuel anglais, forcément et férocement communiste... Bien, je vous livre donc toute l'affaire, oui, les faits, rien que les faits c'est juré, en vous apprenant que Cyril Fiévet a annoncé hier, roulant ses tambours insonores, qu'il quittait avec pertes consubstantielles et fracas dirimants l'aventure (dans des cas aussi insignes, il s'agit toujours, n'est-ce pas, d'aventures ou de petits pas pour l'homme qui n'en sont pas moins de fantastiques bonds pour... oui, je me doute bien que vous connaissez la suite, cher monsieur. Reste que... poussez-les un peu et ces nains lâcheraient sans rire le mot odyssée pour décrire leur téméraire saut de puce...), l'aventure donc Pointblog, une grosse cylindrée bien huilée qui, en cette noble et difficile carrière qu'est le blog, s'était frayée un passage à même le granit le plus dur, faisait apparemment la pluie et le beau temps sur le potager des blogueurs par la qualité de ses analyses, la fraîcheur de ses informations, la douce tempérance de son écriture invertébrée, aussi inventive qu'une culasse de moteur de tondeuse à gazon. Est-ce tout ? Mais oui, voyons... Quoi ? Vous me dites que vous ne savez rien de cette catastrophe, qu'aucun de vos proches n'a même été emporté par l'une des immenses vagues de ce tsunami qui, dit-on mais l'information reste à vérifier, a été ressenti jusqu'au pôle Nord, à plusieurs milliers de kilomètres de l'épicentre ravageur ? C'est tout de même bien étrange parce que, selon mes informations dûment recoupées, plusieurs blogs, sentinelles du vide, éclaireurs du désert des Tartares placés aux avant-postes de la Toile en deuil, ont sonné l'hallali comme les fières balises virtuelles qu'ils ont prêté serment d'être, annonçant d'un beau clairon moutonnier l'immense tragédie qui eût fait écrire à Voltaire, s'il était encore des nôtres, des poèmes dignes de ceux peignant le dramatique tremblement de terre qui détruisit Lisbonne en 1755. Pourquoi Voltaire me demandez-vous ? Ah, mais c'est que vous remarquez absolument tout... Pardi, Voltaire parce que Cyril, justement, est l'un de ses admirateurs transis, quelque chose comme son plénipotentiaire surgeon bloguscule.
Je suis tout de même en mesure d'établir une chronologie, certes grossière, de la catastrophe médiatique qui a frappé nos esprits, comme suit : le jour de disgrâce vendredi 23 mars, à 15 heures 31 minutes et 28 secondes, Cyril Fiévet annonce, en des termes d'une magnifique sobriété taisant une douleur que l'on devine shakespearienne, qu'il ne participera plus à l'odysséenne aventure de Pointblog. Quelques secondes plus tard, à 15 heures 31 minutes et 32 secondes, le premier scrutateur des ténèbres de l'Extérieur répercute la nouvelle, lançant une question devenue fameuse (Pointblog avec un point d'interrogation) mais restée toutefois sans réponse, en lui donnant la somptueuse et tragique beauté de l'horrible qui, désormais, auréolera le déroulement implacable de toute l'affaire. C'est ensuite un unique tumulte mêlant des voix tremblantes de douleur qui, dans des termes dont je me dois de saluer l'absolue originalité linguistique, crient, toutes s'interrogent, bouleversées et inquiètes, traversent, comme le Satan de Milton, des distances effroyables de vide pour parvenir au Centre de Commandement des Opérations Stratégiques, puis de là s'enfoncent dans les couloirs de l'immense Palais de la Veille Médiatique (communément appelé le Paradis) jamais désert, centre névralgique de la Toile sonnant comme un seul tam-tam infini, toujours frémissant d'une bourdonnante activité, tandis que, dès 15 heures 31 minutes et 36 secondes à peine après que la première onde de choc ait décimé une paisible colonie de manchots arnaqueurs, les images du tsunami sont alors disponibles, filmées au péril de la vie de plusieurs membres d'équipage et alors même que les milliers de cadavres de pingouins, soulevés par des vagues de 200 mètres de hauteur comme l'annonçait l'Apocalypse de Jean, pleuvent sur le ponton du navire Le Débordant.

Ayant donc modestement rappelé le déroulement des événements, alors même qu'au moment où j'écris ces lignes, d'autres foyers de résistance rougeoient d'une belle ardeur jacassière, je profite de cette éphémère accalmie pour entonner avec vous mes frères, hommes de paille en l'an de paille, les Très Pieuses Antiennes du Réseau qui nous donneront assurément la force de bâtir, sur cet Armaguédon annonçant les temps sombres de l'abomination de la désolation, une arche nouvelle où préserver toutes les races de pingouins s'élançant sur toutes faces glacées de ce monde :
Sur la Toile, rien de ridiculement petit ne peut se produire, absolument rien de nanoscopique qui ne soit immédiatement répercuté, transmis, amplifié, grondé, grossi, tonné, glosé, stratifié, ramassis, conspué, épinglé, interprété, insignifié, amoindri, digéré, évacué, oublié.
Sur la Toile, ce Flatland absolu qui s'auto-engendre en permanence, la vitesse de propagation du virus est inversement proportionnelle à la gravité de l'infection : quelques secondes seulement ont suffi pour que la nouvelle du tsunami exterminateur, comme une vague médiatique d'une puissance inédite, ait été relayée jusqu'aux plus lointaines vigies virtuelles, par exemple cette désertique Zone qui tout juste vient de s'équiper d'un poêle à charbon.
Sur la Toile, la durée de l'érection n'excède jamais plus de quelques millisecondes, l'éjaculation pouvant souvent être déclenchée sans que le moindre frôlement ni contact, voire la plus légère trace d'activité mentale suspecte ou phantasmatique, n'aient été détectés par les instruments les plus sensibles.
Sur la Toile, la stérilité étant l'un des piliers marmoréens de la charia rhizomique et le plaisir un commandement divin, toute éjaculation est à la fois immédiatement transmise, augmentant la taille de la goutte insignifiante de l'éjaculat et pourtant parfaitement inefficace, ne provoquant jamais un grossissement qui serait, par exemple une réelle grossesse.
Sur la Toile, les plus terribles événements, les vaguelettes déformant la surface du ruisselet dans lequel nul ne peut prétendre s'être baigné deux fois, sont toujours suivis d'un brouhaha qui est silence de l'esprit, dans lequel la Termitière recueille ses forces, mobilise ses ouvrières chargées d'ériger non seulement de nouvelles digues mais de percer une multitude de tunnels informatifs ou plutôt : dubitativo-informatifs.
Sur la Toile, tous les fiévreux Fiévet, tous les Cyril labiles, aussitôt nés, sont radicalement avalés par la Matrice et transformés en liquide amniotique nourricier à destination de la Machine, la multitude des minuscules co-machines prélevant au passage leur part microscopique du cadavre ainsi impeccablement recyclé.
Sur la Toile, tous, les quelques exceptions étant traquées sans aucune pitié, nous nous passons de l'invention inutile de Gutenberg.
Sur la Toile, nul ne peut espérer, pour s'échapper du royaume de Lilliput, devenir Gulliver.
Sur la Toile enfin, les singes se réchauffent même en hiver et se demandent si, par malchance destinale, ils ne seraient décidément rien d'autre que de bavardes putes.

Prions mes frères ou... rions.

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21/03/2006

Michel Crépu lecteur de George Steiner : tout va bien !

Crédits photographiques : Jim Bourg (Reuters).

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20/03/2006

Durtal au Salon du Livre



Il n'y a vraiment pas besoin de se rendre au Salon du Livre (comme du reste je l'ai fait, mon invitation pour deux personnes en poche !), encore moins tenter de trouver une quelconque pertinence à son pathétique et ridicule blog, apparemment très peu fréquenté si j'en juge par la maigreur des commentaires qui y sont déposés, puisque, par avance, en 1891, Joris-Karl Huysmans nous avait décrit le bifide public que nous y trouverions. Il est vrai que bien peu des lecteurs ont, de nos jours, de la mémoire... Peut-être même d'ailleurs ne savent-ils rien de Huysmans... Dans ce cas, en effet, le Salon du Livre est un temple aimanté où ils sauront dénicher le dernier nanar de... Francis Huster (à moins qu'il ne s'agisse d'Amélie Nothomb : peu importe, tous sont égaux sous l'immense drapeau du cloportisme), spécialiste, comme Durtal paraît-il, du diabolique Gilles de Rais.

«Durtal avait cessé, depuis près de deux années, de fréquenter le monde des lettres; les livres d'abord, puis les racontars des journaux, les souvenirs des uns, les mémoires des autres, s'évertuaient à représenter ce monde comme le diocèse de l'intelligence, comme le plus spirituel des patriciats. À les en croire, l'esprit fusait en baguettes d'artifices et les reparties les plus stimulantes crépitaient dans ces réunions. Durtal s'expliquait mal la persistance de cette antienne, car il jugeait, par expérience, que les littérateurs se divisaient, à l'heure actuelle, en deux groupes, le premier composé de cupides bourgeois, le second d'abominables mufles.
Les uns, en effet, étaient les gens choyés du public, tarés par conséquent, mais arrivés; affamés de considération ils singeaient le haut négoce, se délectaient aux dîners de gala, donnaient des soirées en habit noir, ne parlaient que de droits d'auteurs et d'éditions, s'entretenaient de pièces de théâtre, faisaient sonner l'argent.
Les autres clapotaient en troupe dans les bas-fonds. C'était la racaille des estaminets, le résidu des brasseries. Tout en s'exécrant, ils se criaient leurs œuvres, publiaient leur génie, s'extravasaient sur les banquettes et, gorgés de bière, rendaient du fiel.»
Joris-Karl Huysmans, Là-bas, 1891.

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16/03/2006

Max Nordau, Gustave Le Bon et Édouard Drumont ou la trinité diabolique

Crédits photographiques : Dr. Andrew Gillis.

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15/03/2006

Netizen n°2 : portrait du blogueur en jeune con



J'organise un grand jeu-concours. Le lecteur qui trouvera par quel auteur ces lignes ont été écrites (je puis seulement dire : il est mort depuis des lustres et ne fait à l'évidence pas partie du panthéon littéraire des rédacteurs de Netizen), lignes qui me paraissent admirablement évoquer l'impérissable figure du blogueur, gagnera une semaine de vacances dans la Zone, accompagné de la cicérone de son choix, Samantha, Natacha ou Sandra, trois adorables droïdes de dernière génération, plus vraies que nature je le garantis. Ce prix peut bien sûr être échangé, sur simple demande écrite, contre un abonnement à vie au magazine dont il va être traité dans les lignes qui suivent.

Voici l'extrait dont l'auteur est pour l'instant inconnu. J'attends donc, amusé, vos réponses angoissées : «À l’incapacité d’agir se rattache l’amour de la rêverie creuse. Le dégénéré n’est pas capable de diriger longuement ou même un instant son attention sur un point, pas plus que de saisir nettement, d’ordonner, d’élaborer en aperceptions et jugements les impressions du monde extérieur que ses sens fonctionnant défectueusement portent à sa conscience distraite. Il lui est facile et plus commode de laisser produire à ses centres cérébraux des images demi-claires, nébuleusement fluides, des embryons de pensées à peine formés, de se plonger dans la perpétuelle ébriété de phantasmes à perte de vue, sans but ni rive, et il n’a presque jamais la force d’inhiber les associations d’idées et les successions d’images capricieuses, en règle générale purement automatiques, ni d’introduire de la discipline dans le tumulte confus de ses aperceptions fuyantes. Au contraire. Il se réjouit de son imagination, qu’il oppose au prosaïsme du philistin, et se voue avec prédilection à toutes sortes d’occupations libres qui permettent à son esprit le vagabondage illimité, tandis qu’il ne peut pas se tenir dans des fonctions bourgeoises réglées qui exigent de l’attention et un égard constant pour la réalité. Il nomme cela «une disposition à l’idéal», s’attribue des penchants esthétiques irrésistibles, et se qualifie fièrement d’artiste.»

Netizen est assurément, pour quelques heures de célébrité, dans la Zone mais, après la lecture de ces lignes (bien suffisantes, car cette lecture m’a beaucoup coûté) consacrées à leur revue, il y a fort à parier que ses rédacteurs décident que la Zone, elle, jamais ne sera saluée par Netizen. Tant mieux, je le dis sans la moindre ironie ni même déception malgré le fait que, encore naïf, j’ai signalé à plusieurs reprises et sur son propre blog, au responsable de cette revue (je le suppose, puisque je ne dispose point de son adresse électronique personnelle), l’existence de blogs littéraires, dont le mien, pourquoi le cacher, qui méritaient sans conteste de retenir son attention. Il est vrai que je n’avais pas encore acheté Netizen et que je ne pouvais donc pas, d’emblée, condamner une entreprise qui me semble à présent beaucoup plus commerciale que qualitative, si j’en juge par la présence, dans les pages de ce deuxième numéro, d’un Michel-Édouard Leclerc lequel, on s’en serait douté, n’a strictement rien d'autre à dire que de profondes banalités… Et encore, nous restons tout de même, avec Leclerc, dans un domaine peu ou prou apparenté à une forme de discours argumenté puisque j’allais oublier de vous signaler la présence, dans ces mêmes pages, du patron de Skyblog, Pierre Bellanger qui nous livre ses analyses (ici complètes) les plus inspirées : avec ce dernier et malgré une utile réserve exprimée par la rédaction de Netizen quant à la politique pour le moins laxiste de Skyblog à l’égard de ses blogueurs (cf. p. 22), nous quittons la terre ferme de l’insignifiante banalité pour voguer sur l’étendue immense d’un océan de vulgarité sans bornes connues.
Avançons, car le temps passé à lire ce magazine ne me sera point rendu je le crains. Je ne suis donc pas certain, d’abord, que l’idée de consacrer une revue entière, de surcroît payante, au phénomène des blogs par essence gratuits soit, de prime abord, excellente. Reste ensuite, une fois cette malformation de naissance plus ou moins acceptée par ses parents, à nourrir l’enfant difforme, et pour cela tenter de franchir la barrière altissime d’un ridicule éditorial (signé par Cyril Fiévet, rédacteur en chef) confondant de banalité, entassant les truismes à l’occasion de l'affaire des caricatures du prophète Mahomet, sur la sacro-sainte liberté de la presse, dans un texte se mordant finalement la queue de bien laide façon, qui plus est autoritaire, donc en contradiction flagrante avec le dessein du propos : «A vrai dire, écrit ainsi Fiévet, s’agissant d’un pilier de notre démocratie, elle [il s’agit de la liberté d’expression bien sûr] ne devrait même pas être débattue». Curieux, n'est-ce pas ? Oui, bien étrange argument (qualifié, comme par hasard, d'autorité) consistant à faire taire cette liberté devant l’existence même de la démocratie, critiquable de facto comme n’importe quelle autre réalité historique, de surcroît relative et rien de moins qu'assurée d'être pérenne. Bien sûr, il faut comprendre que, dans l’esprit de Fiévet, c’est bel et bien le système démocratique considéré comme la panacée absolue (qui d’ailleurs me permet d’écrire ces lignes de critique, me fera-t-on assez peu finement remarquer), qui a pris, au ciel des fixes cher à Du Bos, la place de «la multitude des croyances et des superstitions qui abondent en ce monde». Magnifique tirade qui sent (mauvais) son petit voltairianisme de salon car, si notre tolérant et ouvert (cela va de soi) Fiévet avait bien lu ce qui s’est écrit sur certains blogs (ceux, assurément, qu’il ne lit jamais), il aurait remarqué que bon nombre vantaient l’idée d’un respect de ces mêmes croyances. Je l’ai écrit : non seulement, donc, il n’est pas certain que la liberté absolue que réclament nos moutons républicains et laïcs (cela, aussi, va de soi) soit la meilleure garantie de qualité de l’art, de la pensée, de la presse même mais il est en outre parfaitement inadmissible que la crasse ignorance, en matière religieuse, s’étale dans des canards indignes, désireux d'augmenter leurs ventes. Je renvoie Fiévet, sur ce point d'une critique de la liberté totale, à un ouvrage, encore un, qu’il n’a pas lu : La Persécution et l’art d’écrire de Leo Strauss.
Car, dans cette affaire dite des caricatures de Mahomet, nos modernes et invétérés défenseurs de la liberté n’avancent jamais le bon argument, celui-là même qui a pourtant dicté leur conduite bien évidemment au-dessus de tout soupçon, puisqu'ils se proclament citoyens sans frontières de la Toile (le sens même du mot anglais netizen, citoilien en somme). Quel est donc ce point noir, cette écharde dans la chair qui gênent nos petits apôtres répandant, sans souffrir la moindre contestation, la bonne nouvelle de leur épuratrice mission voulant éradiquer tout fanatisme ? Ce n’est tout de même pas le secret le mieux gardé du tout-Paris blogueur, n’est-ce pas ? Le voici, ce secret d'alcôve sollersienne : habitués comme ils le sont à cracher en toute impunité sur les symboles chrétiens, les décisions prises par la hiérarchie catholique, voire sur les pratiquants eux-mêmes moqués dans leurs plus intimes croyances, nos petits Bernard Gui virtuels ne supportent point que des fidèles, ici musulmans, aient clamé avec une violence certes inadmissible que leur foi ne saurait être attaquée par de petits imbéciles bien à l’abri dans leur salle de rédaction. Que ces crétins payent, et non d’autres, innocents, pour l’offense commise, je ne vois rien de bien choquant. Après tout, si, armé de mon seul courage de fier occidental définitivement débarrassé de l'Infâme stigmatisé par l'immonde Voltaire, j’allais, par exemple sur une place de Ryiad à l'heure de la prière, hurler mes moqueries à la barbe du prophète, il y a fort à parier qu'on ne me laisserait pas beaucoup de temps pour terminer mon prêche et exercer démocratiquement l’usage de ma langue, voire celui de ma tête, subitement séparée de mon corps d'infidèle pour avoir clamé mon irréfragable droit à la critique démocratique. Faites donc le même essai, par exemple à l’intérieur touristique de Notre Dame, comme l’ont fait les irresponsables imbéciles d’Act Up : que se passera-t-il alors ? Rien, absolument rien. De bons et placides catholiques, croyant sans doute qu’il s’agit là de quelque manifestation festive organisée par M. le curé pour attirer de nouvelles ouailles, glisseront dans votre poche des piécettes pieusement consacrées, tout heureux de participer à peu de frais à une si caritative manifestation de tolérance.
Je disais qu’il fallait déjà, pour tenter de parcourir cette revue, franchir le massif pratiquement himalayen d’une crétinerie auto-satisfaite, pieusement confite dans quelques lieux communs dont n’osent même plus se servir les journaliers décérébrés des Inrockuptibles ou de Technikart. La suite vaut toutefois son poids d’encens (malgré la pertinence de certains articles purement informatifs : par exemple sur les moteurs de recherche, sur le blogging structuré ou encore sur la naissance d’une blogosphère juridique française), et ne m’a pas vraiment poussé à faire preuve de plus d’aménité. Une fois de plus, c’est l’un des articles de ce même Cyril Fiévet, décidément pilier friable de la rédaction, que j’ai punaisé sur la planche des lieux communs les plus incroyablement sots. Dans le dossier racoleur consacré aux blogs d’ados, la double page rédigée, sans doute à la hâte, par Fiévet peut ainsi justement apparaître comme le modèle absolu de l’article auto-suffisant, incapable de proposer une dialectique rigoureuse (pour preuve, les laborieuses transitions censées cheviller ses différents paragraphes), liant ses nombreuses maladresses en un pitoyable bouquet de mauvaise foi, à moins qu’il ne s’agisse réellement du credo imbécile de notre malhabile libre penseur. Je résume son propos, qui sous ma plume gagnera je l’espère en clarté : certes, la grande majorité des adolescents sont absolument incapables d’utiliser un vocabulaire d’un niveau à peine simiesque. Certes encore, lorsqu’ils y parviennent au prix de minutes intenses de concentration douloureuse, c’est pour ne strictement rien nous apprendre de plus que la couleur des ongles de pieds de Patricia ou la marque de la nouvelle tire du voisin vachement cool, Raoul. Mais, nous affirme Fiévet qui fait preuve, pour l’occasion, d’un remarquable sens de l’enchaînement dialectique, «est-ce là le plus important ?». De peur que nous ne suivions plus son argumentaire, il va même jusqu’à nous demander de nouveau, quelques lignes plus loin, visiblement inquiet d’avoir raté son impeccable démonstration : «Mais là aussi, est-ce le plus important ?». Vous vous doutez dès lors de la courageuse réponse que nous donne notre imparable logicien : non bien sûr, ce n'est pas le plus important car il apparaît au contraire «légitime – et souhaitable – que le monde adulte s’intéresse très sérieusement à ces blogs, et aux jeunes qui les animent» puisque, dans le cas contraire nous assure, sans rire, notre bon maître es-logique, ce «serait non seulement dommage mais, probablement, coupable» ! Fichtre, mon optimisme en a pris un mauvais coup. J’ai en tout cas ri de bon cœur, quelques minutes durant tout de même, devant cette baudruche qui, à peine gonflée et aux prix de quels efforts, échappe à notre anxieux souffleur et se propulse au travers de la pièce en lâchant un bruit suspect de dégazage.
Voyez d’ailleurs, semble nous dire Cyril Fiévet dans ces lignes qu’il n’a même pas écrites, estimant sans doute qu'il en avait suffisamment dit, voyez d’ailleurs tous ces admirables jeunes en colère qui, durant des semaines, ont récemment mis à feu et à sang les banlieues de la France entière, sans doute parce que nul ne les écoutait. Voyez encore ces autres jeunes que l’on moque, frères nantis des défavorisés parqués dans les zones citadines où ils ne peuvent que rouiller, auxquels on promet un avenir de précarité absolue (je demande à ces imbéciles et à leur preux défenseur : qu’ils contestent donc, s’ils le peuvent, le caractère absolument précaire de n’importe quelle vie d’homme), voyez-les donc, ces courageux morveux enturbannés dans leur crasse, leur kéfié, surtout dans leur inculture prodigieuse et leurs préjugés idéologiques, prendre d’assaut les universités, vandaliser la Sorbonne et, bons démocrates qu’ils sont, demander l’abrogation non-démocratique d’une mesure qui les gêne, peut-être mauvaise d'ailleurs, là n'est pas mon propos, mais en tout cas votée au Parlement, ayant donc force de loi.
Vous en voulez encore, chers lecteurs ? Pardon mais je dois vous avouer que mon exemplaire unique de Netizen, en fait non point acheté mais ramassé par terre comme le dernier livre houellebecquien naguère critiqué par Angelo Rinaldi dans un ridicule papier, a gagné quelques centimètres de hauteur en rejoignant le fond de ma poubelle de bureau. Allez mes amis, gardez le sourire ou, comme le disent les jeunes : LOL pour Laughing Out Loud, je traduis pour les nuls.
Effectivement, il y a de quoi rire…

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13/03/2006

Madrid, 11 mars 2004. Deux ans et deux jours plus tard : tout va bien !

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10/03/2006

Résurrection du cadavre de la littérature : Olivier Larizza et William Marx en médecins légistes

Scott Olson (Getty Images).

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09/03/2006

Deux années passées dans la Zone... et puis ?

Crédits photographiques : Jeff Chiu (Associated Press).

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08/03/2006

Au régal des Vermines ou les poisons inoffensifs de Marc-Édouard Nabe

Crédits photographiques : Ebram Harimurti (AFP/Getty Images).


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05/03/2006

Censure sur Internet : à propos de Louis-Ferdinand Céline, par Marc Laudelout

Crédits photographiques : Rodrigo Abd (Associated Press).

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27/02/2006

La traversée du trou noir, par Alain Santacreu

Photographie de l'auteur, externat Sainte Marie, 1989


Alain Santacreu, directeur de l'excellente revue qu'est Contrelittérature (dont le dernier numéro vient de paraître, superbe), m'a autorisé à reproduire le texte critique (paru dans la seizième livraison de sa revue) qu'il a consacré à mon deuxième essai. Les liens que j'ai ajoutés au texte d'Alain sont bien évidemment de ma seule responsabilité. Après les critiques d'une Axelle Felgine ou d'un Dominique Autié, il me semble que celle d'Alain Santacreu est remarquable en ce sens qu'elle pointe une dimension peu commentée de mon essai : sa volonté de mettre en branle une espèce d'herméneutique qui ne serait pas totalement déconnectée de la réalité et renverrait le démon de la théorie brocardé par Antoine Compagnon dans quelque Thébaïde afin d'y tourmenter l'étique saint Genette. En d'autres mots, j'ai tenté de faire de la réunion en apparence stochastique des textes composant mon essai un modus operandi qui, je l'espère, aura quelque influence souterraine sur ma propre vie, sur celle, donc, de mon lecteur. Faute inavouable ? Orgueil démesuré ? Oui. Et j'ajoute, afin de me condamner définitivement aux yeux des professeurs, que ce livre est nocif pour un lecteur qui ne serait point quelque peu préparé, voir immunisé : contre quoi ? Contre la facilité de toutes les grilles de lecture, ces tamis faussement fins des pensées percluses. Nocif encore non tant comme le livre démoniaque imaginé par Arnaud Bordes parce que mon essai distillerait quelque ferment de corruption mais parce qu'il prétend faire vaciller les vieilles habitudes de lecture et celles, sans doute bien plus sclérosées encore, de la critique, cette salle de dissection où Genette, encore lui, coupe en fines tranches le corps en putréfaction de la littérature française. D'ailleurs, je publierai dans quelques jours, dès mon retour à Paris, un article sur deux livres (signés d'Olivier Larizza et de William Marx) qui de la santé de cette critique littéraire donnent une image... difficile à interpréter.

Voici, pour l'heure, l'article d'Alain Santacreu.

Il est important de surprendre l’angle sous lequel Juan Asensio voudrait que l’on considérât son livre et pour cela on commencera par lire son «avant-propos». Que faut-il entendre par ce titre : La littérature à contre-nuit ? Il y a là toute la méthode de son herméneutique : lire comme on grave, selon la technique baroque dite «à contre-nuit». Le lecteur éclairé, le critique authentique, sera donc graveur à la «manière noire», autre nom de ce procédé qui consiste à noircir entièrement une plaque de cuivre avant de la graver : «J’avance péniblement dans l’extraordinaire complexité des œuvres que j’évoque, grattant patiemment, à mon tour, le noir de la plaque de cuivre pour en faire apparaître quelques traits», dira l’auteur, évoquant cette métaphore de la littérature à contre-nuit (24; les chiffres entre parenthèses renvoient aux pages de l’ouvrage).
Cette pratique de la lecture métaphorise un procédé contraire à celui de la gravure traditionnelle. Dans cette dernière, la pointe opère à la façon du crayon noir sur le papier blanc tandis que, dans la «manière noire», le grattoir produit l’effet d’un crayon blanc sur du papier noir. En filant la métaphore, on pourrait donc considérer l’ouvrage de Juan Asensio comme une plaque de cuivre que le critique-graveur aurait d’abord fendillée jusqu’à obtenir le noir le plus noir, pour approcher ensuite – en relissant au grattoir les lamelles métalliques – le blanc absolu. Les trois chapitres du livre correspondraient ainsi aux stations opératoires d’une herméneutique existentielle.
Le premier chapitre contient un article remarquable, L’état de la parole depuis Joseph de Maistre, écrit initialement pour le Dossier H de Philippe Barthelet (Joseph de Maistre, L’Âge d’Homme, 2005). Asensio y décèle une analogie entre l’incipit des Soirées et celui d’Au cœur des ténèbres, le roman de Joseph Conrad : «À vrai dire, malgré le fait qu’elle n’a jamais été, à ma connaissance, relevée, je n’insisterai pas sur l’évidente similarité des ouvertures qui unit ces deux œuvres, Au cœur des ténèbres et les Soirées : dans l’une comme dans l’autre, un narrateur décrit le paysage fluvial qui sert de décor crépusculaire à une conversation entre amis» (66).
Il existe une très ancienne tradition mystique selon laquelle le nom de Dieu n’est transmissible que sur l’eau; mais il y a aussi les fleuves infernaux où se donne le mot de passe des maudits. Il y a une qualité de l’eau qui fait que la Néva des Soirées est d’une nature différente que la Tamise d’Au cœur des ténèbres – et de quelle nature aussi l’eau de la Seine dans laquelle se suicida Paul Celan ?
On pourrait donc ne pas être totalement convaincu par ces «troublantes similitudes» et considérer que le dieu du fleuve qui ouvre les Soirées n’est pas celui qui mène Au cœur des ténèbres. Ainsi, les premiers mots des Soirées – «Au mois de juillet 1809, à la fin d’une journée des plus chaudes, je remontais la Néva dans une chaloupe [...]» – indiquent la «remontée du courant» des eaux maistriennes vers leur propre source célestielle. Évidemment, le fleuve africain serpentéiforme que Marlowe «remonte», à la recherche de Kurtz, dans Au coeur des ténèbres, est d’une autre eau et l’on pourrait l’assimiler à l’Achéron.
En réalité, cette mise en relation de l’œuvre maistrienne avec Joseph Conrad tient plus, selon nous, au secret intime du critique, aux plissements internes de ses lectures, qu’à une correspondance réelle, véritablement analogique. Il y a chez Juan Asensio une «exaltation» de la lecture au sens où l’entendait Charles du Bos. D’ailleurs, l’auteur lui-même, peut-être pour masquer le fondement subjectif de sa propre analyse, dira malicieusement s’être laissé guider par le «flambeau de l’analogie» soutenu par l’auteur des Soirées.
Cependant, toutes les correspondances entre les choses ne sont pas analogiques, seul le symbole, étant indéfectiblement relié au Principe, ne peut être «contaminé». Or, Asensio semble interpréter le symbole comme une simple figure de style et ne pas percevoir cette dimension solaire du langage qui outrepasse la saisie démoniaque : le diabole ne peut comprendre le symbole. Que le mal ne puisse être dit symboliquement ne lui confère pas plus de réalité car c’est la marque de son propre néant : le contraire de la littérature c’est précisément ce que seul le symbole peut dire.
Nous avons par ailleurs (in Joseph de Maistre «en réserve» de la contrelittérature, Dossier H, op. cit., pp. 847-852), en paraphrasant le célèbre explicit des Considérations sur la France de Joseph de Maistre, essayé de circonscrire les notions de «littérature contraire» et de «contraire de la littérature» – cette dernière étant ce que nous appelons la contrelittérature.
La «littérature contraire» n’est que la mise en demeure du Mal. Giovanni Papini a pu dire que le diable était surtout «l’ennemi des athées», puisque ceux-ci ne peuvent pas commettre le mal volontairement. Cette fine remarque est sans doute le schibboleth de la littérature moderne, si l’on veut bien admettre que l’«esprit philosophique» substitua la littérature au catholicisme pour imposer sa propre autorité.
Le démoniaque s’est alors empressé de procéder à la courbure de l’espace littéraire, faisant de la littérature un trou noir, pour reprendre la métaphore obsédante d’Asensio : «Les oeuvres modernes qui, à mes yeux, explorent le Mal avec le plus de conséquence évoquent puissamment l’image du trou noir, cet astre exotique qui existe en se consumant sans cesse, qui rayonne de la matière même qu’il engloutit comme un ogre» (177).
On sait que les trous noirs stellaires sont considérés comme le stade ultime d’une étoile massive qui, sous l’action de la gravité, s’effondre sur elle-même. Dans la littérature, l’attraction exercée par le Mal tient le rôle de la force gravitationnelle. Cette prégnance du démoniaque, Asensio la retrouvrera non seulement chez des auteurs comme Joseph de Maistre et Joseph Conrad, mais aussi George Steiner, Ernesto Sabato, Georg Trakl, Georges Bernanos, Paul Gadenne ou encore Ernest Hello. Le second chapitre du livre sera ainsi consacré aux «deux figures hantées» d’Ernesto Sabato et Georg Trakl,
L’affrontement au Mal est toujours une Imitation du Christ – «La figure la plus purement opposée aux forces de la Nuit : le Christ», déclarera Juan Asensio (199) – mais les auteurs de la «littérature contraire» ne vont pas jusqu’à la christogénèse : «Sabato, comme l’écrivain sceptique et blasé du cinéaste [Tarkovski], n’a pu ou voulu ouvrir la lourde porte qui ferme la Chambre où rit comme un enfant le miracle» (138).
L’œuvre noire n’est donc pas l’œuvre au noir alchimique, elle n’est pas ouverture à l’œuvre de la Parole, Celle de «Celui qui se nomme Parole» – comme en parle Maistre dans ses Soirées – Celui qui a absolument tort par rapport au monde puisque, selon les mots transparents de Pierre Boutang, il est «l’absolu négation de paraître».
Aussi Asensio peut-il nous avertir que «nous aurions tort de prétendre que la poésie de Trakl nous promet un quelconque éblouissement final, une remontée après la descente aux Enfers» (176). Tout se passe comme si la traversée du trou noir de la «littérature contraire» était un tunnel éternel, une descente infinie. La «zone» de la traversée sera alors idéalisée en tant que littérature : «La littérature est la zone, dimension qui n’obéit pas aux règles banales de la logique, comme l’Écrivain du cinéaste russe se plaît à le rappeler, ni même à celles, certes moins rigoureuses, de la morale : nous sommes ici dans l’espace libre du miracle, dans le temps alleu de la grâce (136)».
La «littérature contraire» retrouve l’absolu littéraire du romantisme. Max Milner et Claude Pichois avaient déjà souligné que le romantisme naissait avec Les Confessions de Rousseau : la littérature du moi est le triomphe du verbeux sur le Verbe.
Même si le démoniaque ouvre le champ de la «littérature contraire», le «contraire de la littérature», c’est la mystique. L’extase des ténèbres ne doit pas être confondue avec l’expérience des gouffres, Asensio en convient lui-même : «La nuit obscure des mystiques, pour ardue qu’elle soit, n’a strictement rien de comparable avec le phénomène auquel je me réfère, c’est-à-dire : la certitude, non seulement que Dieu est absent, mais plus encore qu’Il est oublié, l’évidence qu’Il est inutile» (103).
Bernanos dit quelque part n’avoir «fait de la littérature» que parce qu’il était un raté mystique. La «littérature contraire» survient de ce ratage mystique qui ouvre la faille par où s’insinue le démoniaque. Seuls, peut-être, Bernanos et Hello, grâce à la prière, ont traversé le trou noir et renversé les «Lumières» – en cela, au même titre que Maistre, ils se sont acheminés vers le «contraire de la littérature».
Dans le texte qu’il consacre à L’Invitation chez les Stirl, Asensio s’interroge : «Comment expliquer cette impossibilité de dire Dieu ?» (p.129) La réponse coule de source : «Il n’y a qu’un chemin et c’est l’oraison. Si on vous en indique un autre, on vous trompe», comme le déclare la Mère du Carmel dans son Chemin de Perfection. Il n’y a qu’un chemin et la littérature nous trompe.
Il nous faut donc traverser le trou noir. Après avoir théorisé l’existence des trous noirs, Einstein et Nathan Rosen, un autre physicien, suggérèrent que le puits gravitationnel de certains d’entre eux pouvaient s’ouvrir sur un autre puits symétrique appelé par opposition «fontaine blanche». Le trou noir déboucherait dans la fontaine blanche qui est la Vision face à face : il n’y a pas d’autre chemin vers le Ciel que de s’y plonger.
Le roman Monsieur Ouine de Bernanos apparaît comme l’œuvre paradigmatique de la littérature considérée comme un trou noir : «le roman de l’entrée de l’Occident dans une sphère désorbitée de tout secours divin, où le désespoir même est réduit à une inconsistance verbeuse et ennuyée, au vide du ressassement dont parlait Blanchot» (114).
Dans son dernier roman Bernanos opère la kénose de la littérature. Monsieur Ouine est le roman qui permet de traverser le trou noir de la littérature par l’acte auto-sacrificiel de la littérature même. Dans les autres romans de Bernanos, nous rencontrons une spiritualité de la «réparation». Le saint bernanosien – tel le curé d’Ambricourt du Journal d’un curé de campagne – «prend la place» de son prochain et, par compassion, intercède pour lui. Cette substitution mystique de l’expiation s’établit à partir d’un renoncement à soi-même – le moi étant le «shatan», l’adversaire, celui qui s’accroche et s’ente sur l’être. Avec Monsieur Ouine, on assiste à la translation de la sainteté rédemptrice au roman lui-même qui, se niant en tant que littérature, ouvre la perspective du «contraire de la littérature».
Ainsi l’ouvrage de Juan Asensio débouche, à travers le «suicide littéraire» de Monsieur Ouine, sur l’œuvre d’Ernest Hello qui réalise le retournement herméneutique du passage des «ténèbres au silence», la traversée du trou noir.
Y a-t-il dans le livre de Juan Asensio un point autour duquel on ne puisse plus bavarder, un lieu où la pensée du lecteur cesserait, qui serait ce point du «silence véritable dont l’écoute et la capture vaine fut le but véritable et mystérieux de chacun des livres d’Ernest Hello» ? (98). Ce «point d’Archimède depuis lequel s’élancer» (130) n’est-il qu’une illusion ? Est-il hors du livre, ainsi que dans «ces tableaux maniéristes» – auxquels l’auteur fait allusion dans un beau passage de son livre (163) – «qui s’ouvrent vers le haut» et «dont les personnages ont un doigt levé vers un Ailleurs hors cadre».
La littérature à contre-nuit de Juan Asensio est un ouvrage étrange et captivant. Sa critique déroutante demeure résolument subjective – à un moment, l’auteur n’hésite pas à délaisser son étude pour raconter un de ses rêves intimes; et l’endroit où nous lisons ce rêve n’est peut-être pas anodin puisqu’il correspond à peu près au milieu du livre (139), c’est-à-dire au vortex du trou noir. On devine ainsi chez l’auteur le désir d’expérimenter une herméneutique transformante, de traverser le trou noir pour dire le silence, «chercher pour trouver à quelle profondeur s’opère le transformation de tout son être» (267).

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22/02/2006

Malcolm Lowry, Samuel Taylor Coleridge, David Jones, Thomas De Quincey

Crédits photographiques : Natacha Pisarenko (AP Photo).

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20/02/2006

Pogrom d'Éric Bénier-Bürckel

Photographie (détail) de Juan Asensio.

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19/02/2006

Dosadi de Frank Herbert ou l'enfer du nouveau monde

Crédits photographiques : Rebecca Blackwell (AP).

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